Chapitre 1 (2/2)

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Mon père avait toujours été vieux et doux, d’aussi loin que je me souvienne. Contrairement aux habitudes de notre pays, son mariage avec ma mère n’était pas arrangé. Au contraire, ils s’étaient choisis, malgré leurs différences. C’était parfois un peu compliqué, certaines de leurs discussions semblaient aussi inutiles qu’interminables à mes oreilles d’enfant, mais finalement ils s’entendaient plutôt bien. Il faut dire que mon père savait tout ! Même la reine l’écoutait, elle qui n’écoutait jamais personne…

L’éducation, selon lui, était la clé de beaucoup de choses. Même pour les filles ! En tout cas pour les siennes… Alors tous les jours, mes sœurs et moi, nous apprenions, à l’ombre du sourire indulgent de notre père et au creux des bras atones de notre mère. Pourquoi la gentillesse et l’érudition de l’un ne rejaillissaient pas, ou plus, sur la joie de vivre de l’autre ? C’était pour moi un véritable mystère, et chaque repas en famille, bercé par le bruit des cuillères et par le silence maternel, me laissait pleine de conjectures.

Dans mes souvenirs, quand j’étais petite, tout était différent. D’abord parce que j’étais fille unique, sans petites boules de pleurs à dorloter au réveil ou à pincer sous la table. Mais surtout parce que ma mère était différente. Elle était très occupée, avait toujours quelque chose à faire ou quelqu’un à voir, ici ou ailleurs. Elle me berçait sans jamais se lasser, me racontant des histoires de magie féerique et de quêtes extraordinaires qui se gravaient peu à peu dans ma moelle épinière.

Avant, elle semblait connaître l’avenir et le passé du monde et elle guérissait les corps autant que les âmes de ceux qui l’approchaient. Désormais, elle ne lisait plus jamais et ne s’occupait plus de nous que comme un automate ou une coquille vide. Quelque chose s’était éteint en elle, au fur et à mesure que ses cheveux devenaient plus blonds, plus longs, peu avant le mariage et la naissance de ma première sœur. J’avais alors six ans. Avec le temps, il m’arrivait parfois de douter de ma mémoire, mais quelque chose en moi savait que c’était vrai ; que depuis des années, ma mère faisait semblant d’être ce qu’elle n’était pas. Elle se comportait comme devaient se comporter les femmes de Champarfait, et personne n’en parlait jamais. Mais moi, je me souvenais de sa vraie personnalité.

Nous vivions dans un royaume où aucun écart, aucune différence, aucune spécificité n’étaient jamais tolérés. Même nos prénoms étaient écrits à l’avance, selon les lois communes. Je m’appelais Lumi parce que j’étais la première fille de mon père. Mes sœurs se nommaient Ruti et Suni comme toutes les secondes et troisièmes filles du pays. Pour avoir une chance de porter un prénom un peu original, il fallait naître dans une fratrie d’au moins cinq ou six ! Car nous étions baptisés par ordre d’arrivée, comme des clones.

D’ailleurs, nous étions des clones. Ici, tout le monde était blond, ou plus exceptionnellement roux. Le châtain clair que me renvoyait le miroir était toléré, mais toute autre couleur de cheveux créait une lourde suspicion d’impureté de la lignée. Les habitants de Champarfait arboraient des yeux verts comme les eaux claires et immobiles de nos quatre rivières. Tout le monde ressemblait à tout le monde. Même si moi, j’étais un peu trop grande, avec des yeux d’un gris-vert transparent assez incongru, pour ne pas dire étrange… ou étranger !

Pourtant, avant d’apprendre la vérité, je n’avais rien compris.

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