Chapitre VI (1/2)

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Le mariage fut planifié pour le printemps suivant. J’étais un peu intimidée, et très impatiente, face à cette nouvelle page si inattendue qui s’ouvrait devant moi. Moi qui avais grandi au rythme des contes de fée et des histoires de princesses, je n’avais jamais osé espérer avoir un tel destin.

Altesse Royale… Je vivais un rêve éveillé ! Mon père m’avait expliqué, un soir, qu’en réalité le prince Rotu n’était pas prince, mais roi, même si sa mère assurait la régence jusqu’à sa majorité, c’est-à-dire pour encore deux ans. Tout le monde continuait à l’appeler prince et à le traiter comme tel, mais officiellement, j’allais donc devenir reine le jour de mon mariage. Mon père semblait craindre que la Régente ne l’entende pas tout à fait de cette oreille. Il essayait de me mettre en garde, à mots couverts, en suggérant qu’elle n’était pas prête à laisser filer son pouvoir, et donc la régence. Mais je balayai toutes ces considérations d’un revers de mon nouvel éventail en soie de mousse.

Le jour J, je fus infiniment soulagée de voir qu’il faisait grand beau. Je n’avais pas fermé l'œil de la nuit, alternant moments de doute solitaires et fous rires avec Suni, me tournant et me retournant sur notre paillasse enfantine. Je me rappelais tantôt ma mère, éteinte et aimante, tantôt mes jeux de petite fille dans les couloirs du palais, tantôt les beaux yeux métalliques de mon fiancé, tantôt l’or argenté de la lune quand elle éclairait l’immensité des champs et l’ombre des rivières.

Mon père vint me réveiller et me trouva allongée, les yeux grand ouverts, un sourire incertain sur le visage. Il demanda à Suni de nous laisser seuls quelques instants, ce qu’elle n’accepta pas sans bouder, et il s’assit près de moi. Il avait un air solennel, irréel, épuisé.

« - Bonjour, ma chérie. As-tu bien dormi ?

- Oh non ! J’avais mille choses à penser. Mais ce n’est pas grave, je dormirai un autre jour, aujourd’hui j’ai mieux à faire. La coiffeuse est arrivée ?

- Pas encore. Elle ne va pas tarder, ainsi que toutes les autres dames d’honneur qui vont prendre soin de toi… Mais d’abord, Lumi, il faut que tu m’écoutes.

- Papa, s’il te plaît… J’ai compris que tu n’aimais pas trop le prince. Mais moi, je l’aime bien ! Il est beau, bien élevé. Et puis, il est prince ! Je suis très heureuse de me marier avec lui. Nous aurons une vie merveilleuse, avec de belles robes, les étoffes les plus chatoyantes, des serviteurs à tous les repas, des meubles confortables, des réceptions grandioses, des bals jusqu’au bout de la nuit…

- Ce n’est pas de cela que je veux te parler. Peux-tu cesser tes bavardages une minute, et m’écouter ?

- Oui. Pardon, Père.

- Bien. Lumi, il faut que tu saches que je viens de signer, pour toi, un serment solennel.

- Comment cela ?

- Ce serment nous engage, tes sœurs, toi et moi, à ne divulguer à personne les origines de ta mère. Jamais. Si on te parle de ta mère, tu dois faire comme si tu ne savais rien. Tu dois dire ce que tu as toujours dit, ce que nous t’avons appris depuis ton enfance. La version officielle.

- Oh…

- Comme tu es mineure, j’ai signé pour toi. Et pour te protéger, j’ai dit à la reine que tu ne savais rien. Que personne ne le savait, à part Sa Majesté et moi. Et que par conséquent, tu ne risquais pas de divulguer ce secret à qui que ce soit. Lumi, il faudra que tu tiennes ce serment. À tout prix. Il en va de notre vie.

- Mais… Est-ce donc si dangereux ?

- Oui, ma chérie. Il est interdit de se marier avec un étranger à Champarfait. En te choisissant pour épouser le prince, la famille royale transgresse donc une loi fondamentale. Si cela venait à se savoir, les conséquences seraient terribles. Pour la dynastie, mais aussi pour nous. Pour toi.

- Bon… Je ne dirai rien, Père. Je te le jure.

- Je compte sur toi. J’avais déjà prêté serment de ne jamais te parler de tout cela, lorsque j’ai épousé ta mère. Je me suis parjuré. Et aujourd’hui, de nouveau, j’ai assuré que tu ne savais rien… Je les ai trompés deux fois. S’ils l'apprennent, ils me tueront, et ils te tueront aussi. »

Quelle drôle de discussion pour un matin de fête ! Je savais que mon père avait raison, et j’étais très sérieuse quand je l’assurai de mon silence. Mais en attendant, toute mon attention était concentrée sur les heures à venir.

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