Chapitre VII (1/2)

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Je sentis un frisson métallique, animal, descendre le long de ma colonne vertébrale. Je n’étais préparée à rien, je ne savais pas ce qu’il voulait, mais une chose m’apparut soudain très clairement : il était disposé à prendre ce qui lui appartenait. C’est-à-dire moi.

Il s’approcha d’un pas lourd, affirmatif. Il n’avait plus rien de princier ni même d’humain dans son attitude, gardant les yeux rivés sur moi, balayant ma poitrine, mon visage, mes jambes, de regards acérés comme autant de poignards. Je restai coite, droite, moite, assise et immobile comme une andouille ou une gamine.

Il me prit le bras, sans égards ni ménagement, et me força à me lever. Je trébuchai, il me retint d’une main d’acier, imprimant sur ma peau une brûlure douloureuse comme les serres d’un rapace. Il me poussa en arrière, torse haletant, visage carnassier, gestes impératifs. Je finis par me heurter au mur, retenant un cri de douleur, et je le regardai sans comprendre.

« - Aïe, tu me fais mal…

- Pour qui te prends-tu à soudain me tutoyer !?

- Mais… Maintenant que nous sommes mariés, j’ai pensé…

- Personne ne te demande de penser. Je suis ton roi, je serai bientôt majeur et j’aurai enfin les pleins pouvoirs ! Je te conseille de t’en souvenir, et de ne jamais me manquer de respect.

- Très bien… Alors, vous me faites mal, Rotu.

- Voilà qui m’est bien égal. J’ai perdu assez de temps comme ça, à faire des courbettes et des baise-mains pour jouer au gentil fiancé ! Maintenant, il est temps de passer aux choses sérieuses.

- Euh, que veux-tu… Que voulez-vous dire ?

- Ma mère exige que tu sois reine et que tu portes mes enfants. Soit. Je ferai mon devoir, chaque soir, jusqu’à ce que tu tombes enceinte. Et ensuite, je continuerai, parce qu’un roi digne de ce nom doit avoir au moins deux héritiers. Et gare à toi si tu me donnes des filles ! Les filles, c’est inutile : regarde-toi… En attendant, tu n’auras qu’à serrer les dents.

- Serrer les dents ?

- Et écarter les cuisses ! »

Mon sort était scellé. Rotu, qui à ce moment-là avait tout du rustre et rien du prince, me retourna brusquement, collant ma pommette contre la rugosité du mur en pierre. Il souleva ma jupe, s’énervant au passage contre le poids et la rigidité des étoffes de luxe pour lesquelles mon père avait économisé pendant plusieurs mois et qu’il déchira sans aucune retenue. Je tentai de me débattre mais très vite, je compris que c’était inutile. Je n’y gagnais rien d’autre qu’un resserrement de cette tenaille de fer et de sang qui me cisaillait le bras et de vilaines égratignures sur ma joue. Alors je cessai de bouger et j’attendis que cela passe.

Cela passa, en effet, comme un serpent assaillant entre mes fesses et entre mes chairs. Je sentis son souffle sur ma nuque, son odeur sur mon dos, cette déchirure tout au fond de moi. Cela dura dix secondes ou dix minutes, je n’avais plus conscience ni du temps, ni des sons assourdis de la fête qui berçaient encore le château dans le secret de la nuit, ni des limites transpercées et sanglantes de mon propre corps qui venaient de se faire dynamiter. Je ne sus que laisser mon esprit s’échapper, s’envoler, comme on éteint une chandelle pour en économiser la flamme.

Rotu s’agitait en moi avec des soubresauts de bête, des ahanements lascifs, dans un drôle de va-et-vient qu’il croyait peut-être langoureux mais qui n’était que possession, négation, perversion. Tous les pores de ma peau suintaient de sueur, de larmes et de sang, mais ma bouche n’émit pas un son, pas un râle, et aujourd’hui encore, quand je repense à cette scène si tranchante, si violente, je n’entends que les battements de mon coeur affolé et la respiration invasive de Rotu, excité comme une bête. Tout le reste n’était que silence assourdissant, comme si c’était mon esprit, encore plus que mon corps, qui se trouvait annihilé, inhibé, anéanti, au point de ne plus rien percevoir aux alentours. Pas même mes propres pensées, qui s’éteignirent brusquement.

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