Chapitre XII (2/2)

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A l’issue de ces grandes manœuvres collectives, Salmus, devenu capitaine puisque nous étions à quai, nous accorda deux jours de repos. J’en sautai de joie ! Même si, lorsque je parlai à Orcinus de mes projets, dans l’ombre de notre voilerie, il tenta de me dissuader.


« - Orcinus, j’aimerais apprendre à nager.

- Eh bien, demande à Rutila, à Perkinsus ou à Milos ! Tout le monde nage très bien, chez nous.

- Toi aussi, apparemment ! Je croyais que tu n’étais pas à l’aise dans l’eau.

- Seulement en pleine mer.

- Alors tu pourrais m’apprendre ?

- Euh… Non, Lumi, je ne préfère pas.

- Pourquoi ?

- Je préfèrerais que tu apprennes avec quelqu’un d’autre.

- Bon ! Je suis contente de voir que je peux compter sur toi… Puisque c’est comme ça, je vais profiter de ces deux journées pour me balader un peu.

- Comment ça, te balader ? Pour aller où ?

- Je ne sais pas… C’est la première fois que je mets les pieds à Héliopolis, autant en profiter !

- Eh ben… Où est donc la gamine apeurée qui vomissait par-dessus bord il y a trois semaines ?

- Je ne suis pas une gamine apeurée. Et je ne risque rien. Ici, les femmes sont libres.

- Oui. Mais tu oublies, encore une fois, que tu es censée être un garçon.

- Je trouverai un coin à l’abri des regards pour me changer, et le tour sera joué.

- Si tu le dis… Mais ne te fais pas attraper, sinon tu auras des ennuis, et moi aussi.

- Orcinus, je te suis reconnaissante de m’avoir aidée, mais je n’ai pas quitté une prison pour en rejoindre une autre. Et je suis assez grande pour me débrouiller ! Je ne vais pas rester enfermée ici alors que juste là, il y a le pays le plus extraordinaire du monde ! Mon père me disait qu’il y avait des théâtres partout, et des bibliothèques, et des librairies, et des universités…

- Un vrai paradis, apparemment ! Bon, fais comme tu veux, mais ne viens pas me chercher si tu as besoin d’aide. J’ai du boulot, moi, tu sais, pour ce petit théâtre des Lointains qui n’est visiblement pas à la hauteur des ambitions de Mademoiselle.

- Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Tu le sais très bien.

- …

- Orcinus ?

- …

- Bon, comme tu veux. Bonne nuit quand même ! »


Il ne desserra pas les dents. Tant pis, qu’il boude ! Je n’avais aucune permission à lui demander. Je dormis peu, excitée comme des dizaines de puces à l’idée de partir à la découverte des mystères épicés d’Héliopolis ! Je me levai avant l’aube, enfilai une tenue bleu roi du plus bel effet malgré sa coupe masculine, passai par les cuisines pour emporter le minimum de survie, et quittai le bord à pas de loup, en veillant bien à ne pas trébucher sur la passerelle. Le veilleur était à son poste, à l’échelle de coupée*. ll me fit un petit signe de connivence et me laissa passer.


Je longeai le quai, agrémenté çà et là de navires aux voiles endormies dont les amarres grinçaient parfois très doucement. Il y avait quelques marins, quelques marchands, quelques pêcheurs qui vaquaient à leurs occupations sans me prêter aucune attention. Je regardais de tous mes yeux ce peuple fier comme le soleil, élégant jusque dans les travaux du quotidien, qui portait avec une allure inimitable des tenues à la blancheur immaculée, tantôt longues, tantôt scandaleusement courtes à mes yeux de Champarfaitoise. Les hommes arboraient des bracelets de cuir à la finesse extraordinaire, les femmes avaient les cheveux et les chevilles rehaussés de dentelles presque diaphanes. Leur langue était rythmée, gutturale, et semblait venir des entrailles de la terre rouge et ocre de ce pays à nul autre pareil.


Lorsque je fus sortie de la zone portuaire, véritable cœur battant de la ville, je marchai au hasard des rues, me laissant guider par le soleil qui commençait à dorer les bordures des bâtiments et par les déambulations affairées des passants. Je finis par arriver sur une sorte d’immense marché, où les étals multicolores débordaient de céréales, de viande, de pain et de fruits aux formes étonnantes que je ne connaissais pas. J’avisai un marchand qui haranguait les foules sans jamais se lasser, vantant probablement les mérites des dizaines de toges blanches qui attendaient preneur sur son étal. Et même si j’ai honte de l’avouer, je chapardai à son insu une tunique féminine à la transparence presque aérienne, pour ne pas dire indécente, et un délicieux bonnet de dentelle pour couvrir mes cheveux courts. Je me dissimulai tout au fond d’une ruelle pour changer de tenue, et lorsque j’en ressortis, tentant de marcher le plus naturellement du monde, j’étais vêtue comme une parfaite Héliopola parée pour l’aventure.



*La coupée est la passerelle mobile qui permet d'embarquer et de débarquer d'un grand bateau.

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