Chapitre XIII (1/2)
Je marchai au hasard, nez en l’air, joues rouges, yeux exorbités. Je pris quelques secondes pour étudier un plan de la ville, providentiellement placé sur le bord d’une rue interminable qui s’étirait sous un soleil de plomb de part et d’autre du port. A ma gauche se trouvait la sortie de la ville et un désert immense, dégradé de tons safran et or, écrasé de chaleur immobile. A ma droite s’étendait le quartier des Voyageurs, célèbre pour son marché troglodyte creusé juste au-dessus de la mer, dans les falaises de granit. C’est là que s’échangeaient, dans l’ombre fraîche et humide des entrailles de la terre, les nombreuses marchandises qui transitaient par cette étonnante ville-monde ouverte à tous les peuples.
Ici, chacun parlait sa langue, chacun pratiquait sa religion, la culture était à tout le monde et quelques mines d’or, situées à l’intérieur des terres, assuraient la prospérité de tout un écosystème. Je fis le tour du marché, ravie de voir autre chose que des algues et du poisson sur les étals ! Malgré toute ma reconnaissance envers les Lointains pour leur accueil et leur hospitalité, j’avais encore bien des difficultés à me contenter de leur cuisine... Car à part quelques légumes qu’ils achetaient dans les pays où ils séjournaient, ils ne se nourrissaient que de produits de la mer, y compris certains crustacés que je ne savais même pas être comestibles.
Ensuite, je me frayai un chemin à travers les ruelles étroites et sableuses pour rejoindre, sur les hauteurs de la ville, presque à l’aplomb du marché, le célèbre palais royal d’Héliopolis. Evidemment, je l’avais admiré plus de cent fois dans mes livres de géographie, sur des gravures, des esquisses… Mais la réalité était bien plus impressionnante. Creusé à flanc de roche, avec ses terrasses suspendues au-dessus du vide et ses pièces sombres, ombragées, ancrées dans les entrailles rouges de la terre, ce palais était un défi permanent à la pesanteur mais aussi un miracle architectural. Pour couronner le tout, un filet d’eau serpentait entre les pièces, apportant la fraîcheur et la vie, puisque grâce à lui, il y avait des plantes absolument partout. Postée devant une auberge en contrebas, j’entrevoyais des feuilles luxuriantes et des palmes délicates qui dépassaient au-dessus du vide comme pour limiter les risques de chute de cette improbable construction.
Plongée dans ma contemplation, je pris place un peu machinalement sur la terrasse de l’auberge, entre une vieille dame contemplative et une femme plus jeune, occupée à prendre des notes sur un parchemin. Le serveur arriva, gestes souples, regard de velours noir, peau gorgée de soleil… Je tentai de lui commander de l’eau et du thé à grand renfort de gestes et de mots inventés, il sembla avoir compris et repartit dans un sourire entendu, voire appréciateur, qui me surprit. J’étais gênée, ne sachant comment me comporter… Et ma voisine, la dame âgée, émergeant de sa longue tunique blanche avec une toute petite voix, me regarda calmement.
« - Ne t’inquiète pas, petite. Il peut te sourire autant qu’il veut, mais il ne viendra pas vers toi. Nous n’avons pas l’habitude de voir des jolies blondes, par ici ! Mais c’est toi qui choisis. S’il t’intéresse, c’est à toi de le lui dire. C’est à toi de décider.
- Oh…
- Tu viens de Champarfait, n’est-ce pas ? Chez toi, les femmes ne sont que de tristes ornements qui passent des mains de leur père à celles de leur mari ou de leur fils. Ici, tout est différent. Ce garçon t’intéresse ?
- Euh… Non, enfin, je ne sais pas. Je ne suis pas là pour ça.
- Et tu es là pour quoi ?
- Pour rien. Pour voir. J’ai tellement entendu parler de ce pays où ce sont les femmes qui règnent !
- Tiens, justement, à propos de femme qui règne, regarde ! Là-bas, c’est notre princesse qui sort de son palais.
- Elle est belle ! Exactement comme une princesse devrait l’être. (Contrairement à moi, pensai-je intérieurement).
- Oui, très. Déjà toute petite, elle était jolie comme une poupée… Pourtant, elle ne devait pas régner !
- Comment cela ?
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