Chapitre XVIII (1/2)
C’est à peine si j’eus le temps de me demander où Orcinus avait bien pu passer. Car j’entendis un léger bruit derrière mon dos, qui me poussa à revenir sur mes pas. De l’autre côté de l’entrée, séparée de la voilerie par une simple cloison de bois, je découvris une pièce minuscule dont la porte était entrouverte, laissant deviner la danse hésitante d’une bougie allumée. Je passai le nez pour regarder à l’intérieur, et tombai sur Orcinus, une chemise prune à la main, qui me regarda d’un air surpris, sourcils froncés, col ouvert et gestes secs.
« - Les princesses ont visiblement mieux à faire que de frapper aux portes… Que veux-tu ?
- Pardon… Je te cherchais, j’ai entendu du bruit, mais je ne pouvais pas savoir… Et puis, arrête avec tes allusions stupides à cette histoire de princesse !
- C’est vrai… Tu n’es pas une princesse, tu es la reine de Champarfait. C’est encore mieux.
- Je ne suis plus reine ; ni princesse ! Les Cinq viennent de m’accorder l’asile. Je te cherchais pour te le dire, Orcinus.
- Bon. Bienvenue parmi nous.
- Tu dis cela comme si tu pensais exactement l’inverse.
- Et que veux-tu que je te dise ? Maintenant que tu as raconté ton histoire, je ne suis pas surpris que le Conseil ait accepté que tu restes.
- Depuis que je te l’ai dit, tu as tout le temps l’air fâché. Pourquoi ?
- Disons que je n’aime pas ces histoires de royauté héréditaire, de palais gorgés de dorures, de sang plus noble que les autres, de princes imbus de leur pouvoir alors qu’ils n’ont rien fait pour l’obtenir. Je ne pensais pas que tu faisais partie de toutes ces filles qui rêvent que leur prince viendra, avec ses cheveux blonds et son beau destrier blanc. Toutes ces niaiseries me révoltent.
- Le prince blond était un monstre. Alors crois-moi, mes rêves de jeune fille me semblent ridicules, à moi aussi. Mais ce n’est pas de ma faute si je suis née là-bas. Si tu m’en veux à cause de ça, c’est absurde. Et injuste ! Les rois n'ont rien fait pour mériter de régner, mais moi, je n’ai rien fait pour que tu me parles sur ce ton depuis vingt-quatre heures.
- …
- Tu vas dormir ici ?
- Oui. Maintenant que tout le monde sait que tu es une fille, nous pouvons difficilement partager la voilerie. C’est ici qu’on stockait les coupons de tissu pour les costumes et les décors du théâtre. J’ai installé une étagère dans le coin où je dormais avant pour les ranger là-bas, dans la voilerie, et me voilà avec une chambre privée.
- On dirait plutôt un placard : c’est à peine si tu peux bouger là-dedans.
- Pour dormir, ça ira très bien. Et toi, tu gardes la voilerie. Une pièce immense, rien que pour toi.
- Une vraie chambre de princesse, n’est-ce pas ?
- Exactement ! Enfin… Tu as peut-être raison, je fais ma mauvaise tête sur ce sujet. J’ai du mal à me faire à l’idée, c’est tout.
- Tiens, pour t’aider à passer à autre chose, tu pourrais m’aider à choisir mon nouveau nom ! Après tout, c’est aussi ton métier, de mettre des mots sur les choses et sur les gens.
- Tu y as déjà réfléchi ?
- Non. J’ai remarqué que les Lointaines portaient des noms en -a, mais à part ça…
- Nos noms sont issus du monde de la mer. Ce sont des algues, des crustacés, des poissons, des mammifères marins, des phénomènes météorologiques…
- Pourquoi pas une vague ? Après tout, je vais et je viens entre les mondes, même si je n’ai pas fait exprès.
- Flucta ! Pas mal… Mais je pense que tu peux faire mieux.
- …
- Chlorophycéa ! D’après une algue verte, ça te rappellera tes jolies robes à Champarfait.
- Bof… C’est trop long ; quand on voudra m’appeler pendant les quarts, la manœuvre sera finie avant que l’officier ait fini de prononcer ce nom.
- Pas faux.
- …
(Il sourit d’un air de conspirateur)
- Alors Chaulaudia, le poisson-vipère ! C’est un vrai danger public, dans les profondeurs.
- Non, merci.
- Ballaena ?
- Eh ! Je ne suis pas si grosse !
- Murexa ?
- Qu’est-ce donc ? Une tempête dévastatrice ? Un poisson agressif ? Une algue moche ?
- Un mollusque à épines.
- Pffff ! Tu te fiches de moi ! »
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