Chapitre XXVII (2/2)
Je me retrouvai donc seule avec Orcinus. Il était allongé sur le dos, son torse nu disparaissant sous des tonnes de bandages. Il avait les traits tirés, ses yeux couleur de nuit étoilée lui dévoraient le visage et ses bras semblaient presque fragiles dans la lumière irréelle que les eaux donnaient à cette chambre avec vue sous mer.
Je m’assis à son chevet, regardant partout autour de moi, moitié parce que c’était magnifique, moitié pour éviter son regard qui cherchait le mien. Puis je n’y tins plus, et finis par m’accrocher à ses deux billes d’océan et par poser ma main tout près de la sienne.
« - Tu te sens mieux ?
- Un peu. Ma jambe me fait toujours aussi mal, mais les abeilles qui se déchaînaient dans ma tête depuis l’accident commencent à se calmer. Et puis, j’ai faim ! C’est bon signe, d’après Milos.
- Tu as meilleure mine, en tout cas.
- Tu parles ! Je ressemble à un squelette de requin qui bouge encore un peu…
- Pas du tout ! Tu vas reprendre des forces, ici. Et tu seras beau comme avant.
- Ah bon ?
- Oui. Ventura sera contente de te retrouver comme neuf.
- …
- …
- En tout cas, merci de rester avec moi.
- De rien. Milos n’en a pas pour longtemps, en plus.
- Peu importe. Tu n’étais pas obligée de rester… J’aurais très bien pu me débrouiller tout seul quelques minutes.
- Muraena n’aurait jamais accepté !
- Ah ça, tu as raison ! Mais si elle était restée deux secondes de plus, elle aurait fini par s’évanouir, et le problème se serait réglé tout seul.
- Ahah, peut-être.
- …
- Orcinus, je peux te poser une question ?
- Bien sûr.
- Pourquoi tu t’es moqué de moi, la toute première fois qu’on s’est vus ?
- Moi ? Quand ça ?
- A Champarfait. Le soir du mariage de ma sœur. Je vous observais de loin, assise dans les cuisines. Je me suis levée, j’ai trébuché en renversant le tabouret.
- Et ?
- Et tu t’es moqué de moi.
- Euh… Non. Je ne crois pas.
- Je t’ai vu sourire et dire quelque chose à ta voisine.
- Et tu en as déduit que je me moquais de toi ?
- Oui.
- Eh bien non ! Même si, comme tout le monde, ces choses-là peuvent me faire sourire… Y compris quand la personne qui trébuche, c’est moi ! En fait, j’étais en train de réfléchir à une nouvelle pièce sur laquelle travaillait Alexandrius. Il manquait quelque chose au personnage féminin. Une jolie paysanne, courageuse, guerrière, au destin extraordinaire. Mais je n’arrivais pas encore à la cerner. En te voyant, j’ai trouvé ce qu’il manquait ! Notre héroïne serait maladroite, et sa maladresse serait au cœur de l’intrigue. Si j’ai souri à ce moment-là, c’est parce que tu m’avais donné une idée, et non parce que je me moquais de toi.
- Oh…
- C’est ce même personnage que joue Ventura sur scène depuis quelque temps.
- Avec la belle robe de lune…
- Oui. Que d’ailleurs, tu n’as jamais portée.
- Mais… Je ne voulais pas que tu sois puni. Tu m’as dit qu’il était interdit de porter les costumes.
- Les costumes, oui. Mais une robe copiée sur un costume, ce n’est pas pareil.
- Je croyais que tu m’avais donné celle que tu m’avais fait essayer !
- Non. Celle-là, c’était la robe de scène de Ventura. Mais pour toi, j’en ai fait une autre dans le même tissu.
- Oh !
- …
- Merci, Orcinus. »
A ce moment-là, Milos revint dans la chambre, tenant à la main un bol aux effluves de riz et de poisson et un petit rouleau en tissu blanc.
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