Chapitre XXXIV (2/2)
« - Orcinus ! appela Milos.
- Ah, Milos, Lumi, vous êtes déjà là !
- Comment, déjà là ? Tu nous attendais ?
- Ben oui. Grand-mère m’avait dit qu’on se retrouverait ici, mais je ne pensais pas que vous arriveriez si tôt.
(Il souriait de toutes ses dents et ses yeux brillaient comme deux étoiles de mer, tandis que je le regardais bêtement, muette comme une posidonie et doutant presque de sa raison).
- Mais, reprit Milos, elle t’a dit que… Bon, on verra ça plus tard. Comment va ta jambe ?
- Bien ! J’ai encore un peu mal quand je marche trop longtemps, mais ça va.
- Où est Muraena ?
- Là-haut, avec le médecin. Elle a de la fièvre depuis hier, alors je l’ai amenée ici.
- Mais… Bon, je ne comprends rien à ton histoire. Raconte-moi depuis le début.
- Euh… Mais je pensais que tu étais au courant !
- Fiston, aux dernières nouvelles, tu étais dans une chambre d’hôpital sur votre île-capitale et tu étais presque guéri.
- Presque. Mais pas assez pour reprendre la mer avec vous.
- Quoi ?
- C’est ce que Grand-mère m’a dit. Le Grand Conseil était fini, le bateau devait repartir, mais tu disais que je n’étais pas en état de travailler. Alors on allait voyager un peu, elle et moi.
(Les yeux de Milos n’étaient plus que deux fentes étroites accrochées au regard d’Orcinus)
- Et tu n’as pas trouvé ça bizarre ?
- Si. Mais bon, puisque je ne pouvais plus monter dans les mâts…
- Depuis quand une troupe repart-elle sans l’un de ses membres ? Et surtout, depuis quand ta grand-mère est-elle la messagère de mes diagnostics et de mes décisions médicales ?
- Euh…
- Et lorsque vous avez quitté l’île, tu n’as pas vu que notre bateau était toujours à quai ? Que nous vous cherchions partout comme des imbéciles ?
- J’ai vu le bateau, si, et j’ai pensé que vous aviez été retardés, c’est tout. Et puis…
- Et puis ?
- Grand-mère m’a dit qu’elle allait m’emmener dans son pays. Le vrai ! Celui dont elle ne parle jamais… Je lui pose des questions depuis des années, alors pour une fois qu’elle était d’accord pour partager un peu ses souvenirs…
- Je vois. Elle t’a dit exactement ce qu’il fallait pour que tu la suives.
- Mais, Milos… Vous n’alliez pas partir sans nous ?
- Bien sûr que non ! Et si vraiment j’avais estimé que tu ne pouvais plus naviguer, je te l’aurais dit. Rutila aussi t’en aurait parlé. Jamais nous ne serions partis comme ça.
- …
- Vous êtes passés par Héliopolis, n’est-ce pas ?
- Oui. J’ai toujours cru qu’elle venait de là-bas, mais elle m’a dit que non, que nous n’étions pas encore arrivés. Et comme je voulais vous attendre, ou vous envoyer un message, elle m’a dit qu’on devait tous se retrouver dans le Sud. Et vous voilà !
- Là encore, elle t’a dit ce que tu voulais entendre, imbécile. Mais elle s’est fait rattraper par son propre piège, puisque nous avons pensé qu’en effet, le premier endroit où elle pourrait aller pour se cacher serait sa terre d’origine. Et nous voilà, comme tu dis.
- …
- Je n’en reviens pas que tu aies pu croire que l’on allait partir comme ça. Sans même te dire au revoir. Alors qu’on te soignait depuis des jours et des jours !
- Je… C’est vrai que ça m’a surpris, surtout après… Enfin, ça m’a surpris. Mais comment aurais-je pu croire qu’elle mentait ? C’est ma grand-mère, elle m’a élevé, elle prend soin de moi depuis toujours. Pourquoi inventerait-elle une histoire pareille ?
- Je ne sais pas, Orcinus. Mais je vais aller lui poser la question de ce pas. J’ai besoin d’avoir une petite explication avec elle… Et de voir aussi à quoi ressemble cette fièvre dont tu parles. Vous dormez où ?
- Elle a loué un appartement, dans une petite rue, juste derrière.
- Bon. Lumi, s’il te plaît, pars immédiatement sur le bateau pour rassurer Salmus et Rutila qui courent après leur maître voilier et leur apprenti conteur depuis des semaines. Dis-leur qu’on a trouvé ce grand imbécile en bonne santé, mais que Muraena est malade. Toi, Orcinus, tu vas aller chercher vos affaires. Tu laisseras celles de ta grand-mère ici, je m’en occuperai, puis tu rejoindras le bord illico. Tu es un Lointain, même si Muraena semble l’avoir oublié, et toute la troupe attend ton retour. Allez hop, exécution les enfants ! »
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