Chapitre XLVIII (1/2)
Je fonçai jusqu’à la voilerie sans demander mon reste, passant en un quart de seconde du soulagement le plus absolu à la colère la plus noire. Comment avais-je pu faire confiance à Orcinus alors que je l’avais vu, et à plusieurs reprises, se tenir bien trop près de Ventura pour être honnête ?
Je dus batailler avec la vieille serrure pendant deux bonnes minutes pour réussir à m’enfermer à clé. Je m’assurai ainsi toute la tranquillité nécessaire pour pleurer tout mon soûl et surtout, pour ne plus voir l’air hypocrite et le corps parfait de mon voisin de cale. Je jetai la clé derrière un rouleau d’étoffe blanche et me laissai tomber sur ma couche, étouffée de larmes, de déception et d’impuissance.
Je perdis la notion du temps, et lorsque je perçus un bruit de pas, il avait pu s’écouler deux heures ou dix minutes. J’entendis Orcinus entrer dans sa cabine, déplacer une caisse, refermer sa porte, puis s’arrêter devant la mienne. Il toqua doucement.
« - Lumi, tu es là ?
- …
- Lumi ?
- …
(Il toqua plus fort.)
- Lumi, je sais que tu es là. Que se passe-t-il ?
- …
- Bon, dans trois secondes, j’ouvre. Une. Deux… Trois ! J’entre.
- …
(Il toqua de nouveau, actionna la poignée, mais en vain.)
- Tu t’es enfermée ! Mais pourquoi ?
- Laisse-moi tranquille !
- Est-ce que tout va bien ?
- Fiche le camp, je t’ai dit.
- Pas avant de savoir ce qui t’arrive.
- Libre à toi de rester planté là ! Je ne t’ouvrirai pas.
- Il faudra bien que tu sortes à un moment ou à un autre… Et puis, tu oublies que je suis le voilier de ce bateau ! J’ai donc la clé de la voilerie… Mais franchement, je préfèrerais que tu m’expliques, au lieu de devoir forcer ta porte. J’en suis resté au petit câlin de ce matin, moi. Et là, tu as l’air furieuse ! Pourquoi ?
- Tu le sais très bien, va. Je n’ai pas envie de discuter avec toi. Tu n’es qu’un salaud !
- Un salaud ? Rien que ça… Et pourquoi donc ?
- Parce qu'il ne s’est rien passé avec Ventura, peut-être ?
- Si… Et je t’en ai parlé. J’ai été amoureux d’elle, c’est vrai, mais c’était il y a des années. Tu ne veux pas qu’on en discute calmement, plutôt que de brailler comme ça à travers une porte ?
- …
(Il toqua de nouveau, doucement.)
- …
- …
- Lumi, réponds-moi, s’il te plaît.
- Va-t’en, Orcinus. Laisse-moi tranquille.
- Mais enfin, pourquoi tu te montes la tête avec Ventura comme ça, tout d’un coup ?
- Parce que c’est moi qui me monte la tête ? Tu te fiches de moi ! Elle est amoureuse de toi, ça se voit comme le grand-mât au milieu du pont.
- Même en admettant que ce soit vrai, je suis assez grand pour lui dire non.
- Je vous ai vus, tous les deux, dans les bras l’un de l’autre.
- Ce n’est pas possible.
- Mais bien sûr ! J’ai dû rêver quand je vous ai vus sur le pont de batterie.
- Ah… Tu étais là…
- Eh oui ! Je sortais du cabinet médical. Et vous étiez là. Enlacés. Alors pour ne pas t’étriper sur place, j’ai jugé préférable de venir m’enfermer ici.
- Lumi…
- Quoi ? Tu vas nier, peut-être ?
- Non. Mais tu ne nous as pas vus enlacés. Tu l’as vue, elle, essayer de m’enlacer, moi. Mais si tu étais restée une seconde de plus, tu aurais vu que je me suis écarté, et que je lui ai demandé de ne plus recommencer.
- …
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