(Orcinus) - Franchement, tu crois que j’ambitionne d’avoir deux dulcinées en même temps, alors que nous vivons en vase clos sur un bateau de 44 mètres de long par 11 mètres de large ? Je sais que j’écris des vaudevilles, mais ça ne veut pas dire que j’aie envie d’en vivre un…

(Lumi) - …

- Ecoute, je comprends que tu aies pu croire que je fricotais avec Ventura, après ce que tu as vu. Mais je t’assure que tu te trompes.

- Tu parles ! Même si tu dis la vérité, elle te colle tout le temps. Ne me prends pas pour une idiote.

- En fait, c’est plutôt moi qui me suis sentis comme un idiot tout à l’heure ! Parce que je n’ai rien vu venir. Je l’apprécie, mais c’est tout. J’ai cru qu’il en allait de même pour elle, et je me suis trompé. Mais vraiment, je n’ai pas l’habitude d’assouvir mes désirs avec toutes les jeunes femmes qui passent. Tu me crois ?

- Non.

- Lumi, pourquoi, parmi toutes les explications possibles, faut-il que tu t'accroches toujours à la pire ?

- …

- …

- Je crois que c’est pour ne pas être déçue. J’envisage le pire, ça m’évite les désillusions.

- Au contraire ! Tu ne cesses de t’en inventer, des désillusions.

- …

- S’il te plaît, ouvre cette porte.

- Tu n’as qu’à te débrouiller, puisque tu dis que tu as la clé.

- D’accord.

- …

(J’entendis quelques pas, puis un bruit de ferraille et il parut dans l'entrebâillement. Il avait l’air contrarié, inquiet, fatigué… Il s’approcha en gardant une prudente distance de sécurité.)

- Je ne sais pas quoi te dire, tu sais. Je ne suis ni un héros, ni un salaud. Juste un type lambda qui a des yeux pour faire la différence entre un laideron désagréable et une belle fille intelligente comme Ventura. Mais ce n’est pas pour autant que je vais croquer tout ce qui me passe sous le nez.

- Tu n’es plus un prédateur ?

- Pas de cette façon-là, en tout cas.

(Il avança vers moi, ses yeux étaient bleus comme des courants contraires au milieu d’un chenal. Il me regardait très fort, guettant jusqu’où il pouvait approcher sans prendre de risque… Mais comme je me contentais de le fixer en silence, sans geste ni réaction, il finit par se planter droit devant moi, au niveau de mon visage. Et quand sa main se posa sur ma joue comme on demande une permission, je fichai mon regard droit dans le sien.)

- …

- Tu me plais vraiment, Lumi. Même si je n’ai pas su te le dire… Tu es compliquée, angoissée, différente. Et ton passé te plombe comme une tempête qui ne s’arrêterait jamais ! Il y a des moments où cela m’effraie, je l’avoue. Mais tu es aussi courageuse, et douce, et drôle, et persévérante. Tu restes intègre dans les difficultés et tes yeux sont verts et profonds comme un lac de montagne. Enfin, je n’en ai jamais vu, mais c’est comme ça que j’imagine les lacs de montagne, entre le gris de la roche et la lumière de l’eau.

- …

- Et puis tu oses. Tu essaies. Tu réessaies. Tu te relèves, tu apprends, tu recommences. Je t’admire, tu sais. Tu t’es intégrée parmi nous avec une fluidité étonnante. Alors que tu n’avais jamais vu la mer… Aujourd’hui, tu diriges nos matelots et tu éduques nos enfants. C’est juste incroyable ! Et par chance, tu sembles apprécier de laisser tes mains partir à l’assaut de ma peau… Alors que tu es tellement jolie ! Même quand tu es habillée en marin, même quand tu te bats contre les éléments… Et même quand tu as un peu trop bu, comme ce matin.

- Là, tu exagères ! Je ressemblais à un béluga frappé de mal de mer.

- Non…

- …

- Lumi, ce que j’essaie de te dire, c’est que je tiens à toi. Je ne suis pas près de risquer de tout perdre, de te perdre, juste pour retomber dans une ancienne amourette adolescente. En fait, j’ai envie de savoir où la vie pourrait nous mener, toi et moi. Veux-tu essayer, avec moi ? »

Il s’exprimait diablement bien, l’animal… Et il était si beau, avec sa silhouette souple, sa main douce, son regard azur et ses jolis mots ! J’attrapai alors ses doigts, toujours posés sur ma joue, il s’accroupit face à moi et je plongeai mon regard dans le sien avant de lui répondre, sur un ton digne d’un engagement solennel : « Oui. »