« - Lumi, ma chérie !

- Père, quelle joie de te voir… Comment vas-tu ?

- Je vais bien… Mais j’ai cru que je ne te reverrais jamais ! Laisse-moi donc te regarder… Que tu es belle, ma fille !

- Merci… Mais donne-moi d’abord des nouvelles de mes sœurs.

- Elles se portent à merveille, ne t’inquiète pas. Ruti m’a donné un beau petit-fils l’année dernière, un adorable bambin aux grands yeux verts et aux cheveux pleins de soleil… Et elle est à nouveau enceinte. Elle est heureuse, son mari est gentil avec elle et elle prend soin de sa maisonnée. Quant à Suni, ma foi, elle a bien grandi ! Du haut de ses 14 ans, elle aimerait continuer à faire les quatre cents coups, et moi, je commence à lui parler d’un futur mariage… Elle n’en a pas très envie, mais c’est dans l’ordre des choses, et je prendrai le temps de lui trouver un homme qui lui convienne… Sinon, elle lui mènera la vie dure !

- Oh oui, je m’en doute ! Fais en sorte qu’elle soit heureuse, Père… C’est important.

- Bien sûr ! Je ne veux que votre bonheur, à toutes les trois. Mais où te cachais-tu depuis tout ce temps ? Rotu raconte partout que tu t’es enfuie en pleine nuit, sans aucune raison, et que tu es une femme indigne. Que s’est-il donc passé ?

- Oh, père, si tu savais…

- Allons, tu sais bien que tu peux tout me dire, ma chère enfant.

- Eh bien… Rotu a été horrible avec moi. Violent. Monstrueux. Je… Je n’ai pas pu le supporter. Alors je suis partie. Et par hasard, j’ai été embarquée par une troupe de Lointains.

- Des Lointains ! J’aurais dû m’en douter, il n’y a qu’eux qui aient pu te donner une robe pareille, avec sa coupe près du corps et sa couleur vive… Voilà pourquoi tes cheveux se sont éclaircis au grand air, pourquoi tu as la silhouette fine et ferme, pourquoi ta peau est plus vive, et pourquoi la liberté brille dans tes yeux ! Tu es magnifique, ma chérie. Magnifique, mais menacée… Parce que Rotu te cherche, même s’il nous a interdit de prononcer ton prénom devant lui.

- Rotu est un monstre, Père. En public, il était poli et gentil. Mais dès que nous étions seuls…

- Allons, tu étais plutôt contente de l’épouser, pourtant ? Si mes souvenirs sont bons, tu étais même beaucoup plus enthousiaste que moi à l’idée de cette union.

- C’est vrai. Mais j’avais tort, et c’est toi qui avais raison. Tu disais que Rotu avait été un enfant cruel et colérique… Eh bien, il n’a pas changé.

- Tout de même, j’ai peine à le croire. Avec moi, il est toujours aimable et respectueux, alors qu’il pourrait me reprocher de ne pas être noble, voire d’être le père de son épouse en fuite…

- Il ment, Père. Il ne fait que ça.

- …

- …

- …

- C’est une drôle de sensation de me retrouver ici, avec toi… Ma vie d’aujourd’hui est si éloignée de celle du château ! Mais je suis enseignante, tu sais, et pendant les navigations, je gère une partie de l’équipage ! Tu imagines, moi qui ai grandi ici, dans ce château, avec la bibliothèque comme seul horizon, voilà que je deviens un vrai marin !

- Tu sembles heureuse, ma chérie… Mais tu es mariée au prince de Champarfait, ne l’oublie pas. Rotu est furieux.

- Il n’a aucune affection pour moi, Père. Il est peut-être vexé, mais c’est tout.

- Non, ce n’est pas tout. Un prince, ou plutôt un roi, une fois vexé, peut devenir dangereux !

- Il m’a déjà fait tout le mal possible, Père. Je t’assure.

- Mon enfant… Je suis heureux de te voir, de savoir que tu es en bonne santé, mais tu ne peux pas rester ici. C’est trop risqué. Rotu t’a peut-être fait du mal, mais il pourrait certainement faire pire, crois-moi. Je sais qu’il te cherche, en cachette. S’il te trouve, nous passerons tous un sale quart d’heure.

- As-tu peur pour ma vie, ou pour ta place au sein du palais ?

- Les deux, ma chérie.

- …

- Écoute, je connais le prince. Et je connais sa mère ! Alors…

- Mais tu me crois, au moins ? Quand je te dis qu’il m’a fait du mal ?