Chapitre LIV (2/2)
Nous le suivîmes donc, intrigués et impatients de savoir ce qu’il avait encore pu inventer ! Mais malgré mon imagination débordante et les multiples hypothèses qui me vinrent à l’esprit pendant que nous marchions jusqu’à cette gargote animée de l’entrée du port, j’étais loin, très loin d’avoir deviné.
Une fois assis à une table, sur une terrasse brassée de chaleur du désert et de rires aux accents ancestraux, nous commandâmes trois bières de châtaigne et Orcinus respira un grand coup.
« - Lumi, Milos, il faut que je vous dise quelque chose.
- Que se passe-t-il, fiston ? demanda le médecin avec bienveillance.
- Je m’en doutais ! approuvai-je. Tu as eu l’air bizarre toute la journée.
- Eh bien… Comme vous le savez, je suis allé dans une échoppe tout à l’heure, pour réparer le pendentif que Muraena m’a légué à sa mort.
- Bon.
- La dent d’orque, oui. Et alors ?
- Alors, quand l’artisan a voulu mettre une nouvelle lanière de cuir, le pendentif s’est ouvert. Et à l’intérieur, il a trouvé cela… Alors il me l’a donné, évidemment, et il a refermé la dent pour y placer le cordon. C’est l’écriture de Muraena.
(Il posa sur la table un minuscule rouleau de parchemin, plié et replié sur lui-même, qui avait une drôle de forme conique et qui était couvert d’une écriture figurative indéchiffrable).
- Mais, murmura Milos, tu comprends donc cette langue ?
- Alors Muraena t’a laissé un mot par-delà la mort ?
- Oui, je lis sa langue, et oui, elle a fait en sorte que je ne découvre tout ça qu’après son décès.
- Qu’est-ce qu’elle dit ?
- Oui, Orci, qu’a-t-elle écrit ?
- Elle dit tout… Elle a tout écrit, dans une langue que personne à part moi ne comprend sur le bateau ! Comme ça, son secret ne risquait rien.
- Son secret ?
- Quel secret ?
- Le sien. Enfin, le mien. Celui de ma naissance.
- …
- …
- Tu avais raison, Lumi. Muraena n’était pas ma grand-mère… Et elle a menti toute sa vie, ou presque. A tout le monde. Même à toi, Milos. Et même à moi. Surtout à moi ! Elle était la servante de ma mère. Elle l’aimait comme sa propre fille… Alors quand elle est morte, elle a juré de prendre soin de moi. De me protéger. Et de me cacher. A tout prix.
- Oh…
- Mais alors, tu veux dire que…
- Oui. Je suis bien le prince aux yeux d’ambre de ta satanée légende.
- Tu en es sûr, Orcinus ? Bon, je dois avouer que je savais qu’elle n’était pas vraiment ta grand-mère. Elle a travaillé pour une famille noble et pour une raison que j’ignore, elle a dû s’enfuir avec un de leurs enfants, et le cacher. C’est ce qu’elle m’a expliqué quand je lui ai posé des questions sur ce drôle d’elixir qu’elle avait inventé pour dissimuler la couleur de tes yeux. Mais de là à imaginer que tu étais le petit prince égaré de cette vieille légende, bon… Je suis scientifique, moi, une histoire pareille ne me viendrait jamais à l’esprit ! Une famille noble, ça ne veut pas dire une famille royale ! Mais je me sens un peu bête, quand même. Tu es sûr que c’est vrai ?
- Moi, je m’en suis doutée dès que j’ai vu tes yeux ! Mais au fil du temps, bon, je n’y ai plus pensé.
- Je sais, Lumi, tu me l’as dit tout de suite et je ne t’ai pas écoutée. Pardon. Pour le reste, Milos, non je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Mais je suis sûr que c’est ce qu’elle écrit.
- Montre-moi donc cette lettre, s’il te plaît.
(Orcinus déplia le parchemin sous nos yeux incrédules.)
- …
- …
- Merci, fils, mais je ne comprends pas du tout cette langue. Tu peux traduire, s’il te plaît ? Lis-nous tout depuis le début, en Lointain, et ensuite, peut-être que nous y verrons plus clair. Nous t’écoutons. »
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