Chapitre LV (2/4)

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Le hasard fait que nous étions à Héliopolis (cette capitale qu’il haïssait tant !) lorsque je me suis séparée de Calaô-té. J’étais un peu perdue dans cette grande ville dont je comprenais la langue, puisque c’était celle que l’on parlait dans les administrations et dans les écoles de mon grand Sud natal, mais dont je ne connaissais pas encore bien les codes, la culture, le fonctionnement. Heureusement pour moi, j’étais plutôt bien tombée. Car c’est un endroit où les femmes sont bien traitées, presque trop, car l’inégalité ne me plaît pas plus quand je suis du bon côté de la balance… Mais je trouvai mes marques, et un peu hasard, je décrochai un emploi.

D’abord, je fus embauchée par une duchesse haute en couleurs, fière comme un dromadaire et droite comme un phare. Je l’avais rencontrée au théâtre, avec ses trois enfants. Quand, au fil de notre discussion, elle apprit que j’avais survécu à onze petits frères et sœurs sans en assommer aucun, elle décida de me confier l’éducation de sa progéniture. Mais j’eus à peine le temps de m’habituer à eux, puisque la reine Canaâ cherchait une jeune femme pour prendre soin de sa fille et héritière, Hanaâ.

Voilà comment j’ai rencontré ta Maman, mon petit Orcinus. Si tu savais comme elle était jolie ! A l’époque, j’avais dix-sept ans et elle venait tout juste de naître. Je l’ai bercée, je l’ai nourrie, je l’ai lavée. Je l’ai élevée, parce que sa mère était bien trop occuper à régner sur Héliopolis et à faire la guerre à Champarfait pour pouvoir passer du temps avec son enfant. J’ai sécurisé ses premiers pas, j’ai veillé ses premières fièvres, j’ai entendu ses premiers mots. Et je l’ai aimée, à un point que je ne saurais pas dire ! Je l’ai aimée chaque jour un peu plus fort, un peu plus loin, je l’ai aimée de tout mon être et je ne l’ai quittée que le jour de sa mort. Mais nous y reviendrons…

En attendant, sache que ta mère, quand elle était petite, était belle comme une poupée, avec sa peau chaleureuse comme de l’onyx, ses yeux brillants comme la nuit au-dessus du désert et ses lèvres joyeuses comme deux virgules de corail. Tu lui ressembles beaucoup, Orcinus, et j’ai souvent les larmes aux yeux quand je te vois sourire dans le soleil, avec la même confiance innocente et la même sérénité douce qu’elle avait en toutes choses. C’est à la fois grandiose et douloureux de lire son souvenir sur ton visage, tu sais… Elle est le seul enfant que je n'aie jamais eu, et même si elle n’est pas née de mes entrailles, elle était cousue de moi, de mes erreurs et de mes rêves. Tu vois, en te disant que j’étais ta grand-mère, je ne mentais qu’à moitié, finalement ! Car je ne l’aurais pas aimée plus fort, je ne t’aurais pas aimé plus loin, si je l’avais portée dans mon ventre avant de la voir grandir.

Elle a grandi, justement. Elle a eu une petite soeur, Sanaâ, aussi adorable que fripouille, qui règne aujourd’hui sur Héliopolis avec beaucoup de majesté, mais que j’aie vue, moi, tomber le nez dans un cactus ou hurler à la mort après avoir trempé ses cheveux dans la confiture !

Leur mère, la puissante reine Canaâ, était une boule d’énergie et d’ambition. Elle ne rêvait que de batailles et de conquêtes, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter dans sa volonté de faire prospérer le royaume et de battre ses ennemis. Un jour, quand les filles avaient dix et deux ans, la reine a réussi un sacré tour de force : elle a enlevé l’héritier du trône de Champarfait, au nez et à la barbe de presque toute la garde royale. Lorsqu’elle revint au pays, exhibant dans les rues de la ville ce gamin timide comme la lune et roux comme un joyau, sa réputation de guerrière intrépide n’était plus à faire ! C’est peut-être ce qui la condamna, car à être trop sûr de sa victoire, trop auréolé de gloire, on en oublie parfois les précautions les plus élémentaires…

Voilà certainement pourquoi l’invincible Canaâ tomba un soir, dans les premières ombres de la nuit, dans une embuscade tendue par les barbares de l’Est. Ta Maman n’avait alors que douze ans, son visage était celui d’une enfant mais son regard se teinta définitivement de prudence et de responsabilité. Hanaâ devint reine, sous la régence bienveillante de sa tante Calaâ. Elle me garda à son service, et je continuai à prendre soin d’elle. Comme si, auprès de moi, elle pouvait prolonger son enfance ; alors qu’autour d’elle, tout était devenu terriblement adulte et intimidant.

Tout doucement, elle se transforma en jeune fille. Elle avait toujours été jolie, mais soudain elle fut belle, brillante, ensorcelante. Et le petit prince de Champarfait, que nous avions adopté (certes contre son gré) quand il était encore tendre et immature, ne manqua pas de la regarder avec des yeux d’homme, tout jeune certes, mais quand même. Ils finirent de grandir côte à côte, et je fus la première confidente des émotions et des espoirs de ta Maman quand elle réalisa, petit à petit, qu’elle tombait amoureuse de lui.

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