Chapitre LVI (1/2)

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Arrivé au bout de sa lecture, ou plutôt de sa traduction, Orcinus se tut. J’étais sciée et silencieuse, même si une partie de moi avait envie de hurler que je le savais depuis le début ! Quant à Milos, il resta une minute avec les yeux ronds comme des billes, éteints comme deux tas de cendres.

Puis il se servit une chope à la tireuse à bière (c’était la quatrième de la soirée…). Et quand il prit la parole, ce fut d’une voix tremblante, traînante, tandis que son regard flottait d’Orcinus à moi et de moi à Orcinus.

« - Quelle histoire, mes enfants… Je me sens si bête ! Et toi, Lumi, qui m’as parlé de cette légende du prince aux yeux d’ambre, que je connais par cœur, comme toi ! Et que je n’ai pas reconnue alors que je l’avais sous les yeux, en chair et en os. C’est incroyable… Tu sais, je n’ai pas voulu te mentir. Je pensais vraiment que tu te faisais des idées, que tout cela n’était qu’un conte pour les enfants qui n’arrivent pas à s’endormir. Moi, comme un imbécile, j’ai tout simplement cru Muraena. Sans réserve ! Son amourette avec un Lointain, sa famille qui l’avait chassée en apprenant sa grossesse, son travail à Héliopolis dans une famille noble, et puis sa fille qui, comme elle, avait aimé un Lointain dont elle avait eu un enfant. Un enfant dont Muraena devait désormais s’occuper, puisqu’il était devenu orphelin brutalement, à l’âge de cinq ans. On n’a pas idée d’être aussi aveugle, aussi crédule ! Quand je pense que j’ai même avalé cette histoire de changer la couleur de tes yeux, Orcinus, sans ne serait-ce que douter, alors que la vérité était tellement évidente !

- Il ne sert à rien de t’en vouloir, Milos. Moi aussi je l’ai crue. Tout le monde l’a crue.

- Je me souviens de votre arrivée sur le bateau comme si c'était hier, tu sais… Elle était épuisée, affamée, mais elle ne se préoccupait que de toi, et de cette fièvre que tu avais attrapée dans le désert… Pendant votre trajet depuis Port-Eden, elle avait à peine mangé, car elle te donnait tout ce qu’elle avait. Au risque de mourir de faiblesse ! Quand je vous ai pris en charge, elle n’était pas beaucoup plus en forme que toi, mon garçon. Mais elle était si belle…

- Tu l’as aimée tout de suite ?

- Non… Mais je l’ai admirée immédiatement. Elle était forte, courageuse, étonnamment attentive à tout ce qui se passait autour d’elle. Elle était sur le qui-vive en permanence, mais elle ne se départait jamais d’une élégance profonde, naturelle. Et puis, elle avait dix ans de plus que moi, alors elle se trouvait trop vieille, trop ridée… N’importe quoi ! Elle était magnifique, avec ses yeux noirs qui accrochaient le soleil de son désert natal et son adorable petit-fils, joyeux comme une œuvre d’art.

- Tu parles… Tu n’aurais pas préféré qu’elle ne m’ait pas sur les bras, à l’époque ?

- Non. Enfin, je ne me suis pas posé la question. Tu étais là, tu faisais partie d’elle. Je ne pouvais pas la choisir, elle, sans te choisir aussi, toi.

- …

- Tu sais, Orcinus, je ne te le dis jamais, parce qu’on ne dit pas ces choses-là… Mais je suis très heureux que tu sois là. Je veux dire, dans ma vie… Grâce à toi, et à cette adoption un peu forcée par laquelle Muraena a dû accepter de prendre soin de toi, j’ai eu l’occasion d’élever un enfant. Un peu pénible, certes…

- Eh !

- … Mais si c’était à refaire, je signerais de nouveau, fils, pour toi autant que pour elle.

- ...

- …

- Alors quand tu nous as connus, elle et moi, elle m’appelait déjà Orcinus ?

- Oui. Je n’avais jamais entendu Lomu ni… Quel est le second prénom qu’elle évoque dans sa lettre ?

- Hanaô.

- Je n’avais jamais entendu ni Lomu, ni Hanaô, avant aujourd’hui.

- ...

- Et puis, honnêtement, je préfère Orcinus ! Ce prénom te va comme un gant.

- Moi aussi, je préfère…

- …

- En tout cas, c’est une chance que je n’aie pas atterri dans ton cabinet médical pour schizophrénie, avec toute cette histoire !

- Que vas-tu faire, maintenant ?

- Je n’en sais rien… Je ne réalise pas vraiment. Après tout, ce n’est peut-être pas si important. Je n’ai jamais connu mes parents, alors peu importe qui ils étaient, non ?

- Non. C’est toujours important de savoir d’où l’on vient, Orcinus. Tiens, demande un peu à Lumi. Elle aussi, on lui avait caché toute une partie de son identité.

(J'acquiesçai en silence, ne voulant pas m’immiscer dans leur échange et essayant vainement de profiter de ces quelques minutes pour remettre de l’ordre dans mon esprit.)

- Même si vous avez raison… Comment savoir si tout cela est vrai ? Après tout, Muraena a menti toute sa vie. Pourquoi devrait-on désormais la croire sur parole ?

- Parce que c’est la vérité brute… Je le sens. Mais si c’est important pour toi, et puisque le hasard fait que nous sommes justement ici, à Port-Eden, eh bien ! Cherchons une preuve. »

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