Chapitre LVI (2/2)

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Milos avait dit cela sur un ton de détective aguerri ou de général d’armée. Peut-être parce qu’il avait visiblement trop bu… Mais nous décidâmes d’enquêter immédiatement. Ce ne serait peut-être pas simple, car les gens du Sud étaient des nomades : chez eux, personne ne restait jamais longtemps au même endroit… Mais il fallait essayer.


Et Orcinus avait eu une idée qui nous semblait bonne : rendre visite à l’apothicaire, puisqu’il était mentionné dans cette fameuse lettre. Mais auparavant, il nous fallut convaincre Orcinus de retourner à bord. Car si quelqu’un ici connaissait la vérité, et si cette personne découvrait l’identité de notre compagnon, le secret risquait de nous échapper… Et les conséquences pourraient être terribles.

Orcinus argumenta longtemps, disant (à juste titre) que c’était son histoire, sa grand-mère (enfin, plus ou moins…), son héritage, et que quoi que cet apothicaire, s’il était encore en vie, puisse avoir à dire, il tenait à l’entendre de ses propres oreilles. Mais je me montrai inflexible, et Milos fut encore plus injonctif que moi, à camper sur ses positions d’une voix pâteuse, mais décidée.

Orcinus finit par renoncer, nous faisant jurer sur nos grands dieux et sur Aquahé de tout lui raconter à notre retour. Alors nous le raccompagnâmes jusqu’à l’échelle de coupée. Et quand il eut posé les deux pieds sur le pont, non sans un regard de regret à notre intention, nous retournâmes sur nos pas à travers la minuscule cité endormie.

Car il était tard… Très tard, même ! Port-Eden sommeillait de toute son âme, et si quelques flambeaux illuminaient nos pas au fil de notre parcours, pas un son ne venait dérider l’encre de la nuit. Heureusement, nous savions vers où nous diriger, puisque l’échoppe de l’apothicaire se trouvait juste en face du cabinet médical, où nous avions si providentiellement retrouvé Muraena et son petit-fils quelques années plus tôt, et où Milos avait eu l’occasion de retourner depuis, pendant nos escales, pour saluer son confrère.


Nous arrivâmes devant la porte aux alentours de deux heures du matin. Il était très impoli de réveiller quelqu’un à une heure pareille… Mais nous n'avions guère le choix ! Milos prépara un petit mensonge, une histoire de patient atteint d’un mal qu’il devait traiter sans attendre avec une décoction de plantes dont je ne retins pas le nom, mais qu’un apothicaire avait forcément dans son échoppe.


Après quelques minutes d’attente, et des coups sourds donnés sur la porte, celle-ci s’ouvrit sur la figure ronde et grise d’un vieil Asclépios voûté par les ans. Sa chevelure frisée était une auréole de blancheur dans les ténèbres de la nuit et ses yeux gris, clairs comme un ruisseau dans la montagne, nous regardèrent sans animosité.


Il nous fit entrer, nous servit une tisane à la cannelle et entreprit de préparer le mélange de plantes que Milos lui avait indiqué. Pendant ce temps, il discutait avec le médecin, heureux sans aucun doute de pouvoir échanger dans sa langue maternelle… Cela dura un bon moment, nous reprîmes une seconde rasade de tisane (ce qui ne pouvait que faire du bien à Milos, après les bières qu’il avait bues à la taverne !). Je ne comprenais rien à ce qu’ils se disaient, évidemment, aussi le temps me sembla-t-il infiniment long…


Et quand nous fûmes de nouveau dans la rue, enveloppés par le vent du désert et la profondeur de la nuit, Milos me dit : « Bon… Je l’ai fait parler un bon moment. Des Lointains, de leurs venues régulières dans cette ville depuis quelque temps. Et puis je lui ai demandé s’il en avait déjà vu, avant nous. Il a d’abord dit non, puis il s’est souvenu d’un Lointain qu’il n’avait pas vu, mais qui était passé dans la cité il y a une vingtaine d’années. Un enfant. Sa grand-mère était venu le consulter pour quelque chose… Elle venait de Port-Eden, mais elle lui avait expliqué que son petit-fils était aux trois-quarts Lointain. Il s’en souvient très bien ! Elle lui avait dit qu’elle avait été chassée par sa famille, puis par les nobles chez qui elle travaillait. C’était bien elle, Lumi… »


Milos avait raison. C’était elle. Et donc, c’était lui. Orcinus était le fils aux yeux d’ambre d’une reine régnante et d’un prince héritier, comme dans la légende de mon enfance.

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