(Lumi) - Non, Orcinus, je ne suis pas ta tante. J’ai été, pendant à peine dix jours, la femme d’un oncle que tu n’as jamais vu. Sur le papier, ce n’est pas terrible, mais dans les faits, ça ne me semble pas si grave. Pas interdit, en tout cas.

(Orcinus) - …

- Tu n’as vraiment aucun souvenir de tes parents ?

- Non. Rien.

- En tout cas, cette histoire explique pourquoi ton accent en champarfaitois est presque indétectable. Tu as dû le parler avec ton père, quand tu étais enfant.

- Je n’en sais rien. Tu te rends compte ? Je ne garde aucune trace de tout ça… C’est fou.

- Non, c’est normal. Tu étais tout petit.

- …

- Que vas-tu faire, maintenant ?

- Je ne sais pas. Rien, je pense.

- Rien ? Mais…

- Mais, quoi ?

- Muraena a menti pendant des années, elle a dû fuir encore et toujours pour te protéger, pour attendre que tu sois assez grand pour accomplir ta destinée.

- Ma destinée ! Rien que ça ?

- Oui. Réunir tous les pays, et tous les peuples, pour faire la paix.

- Faire la paix… Souvent, ça commence par une guerre.

- Ne crois-tu pas qu’il y a des guerres justes ?

- Si… Mais elles n’en sont pas moins tristes, et meurtrières. Je ne veux pas de cela.

- Mais, Orci…

- Je ne veux pas, et je ne voudrai jamais ! Peu m’importent les royaumes, peu m’importe l’histoire de mes parents.

- Tu n’aimerais pas les venger ?

- A quoi bon ? Ils sont morts, aucune vengeance ne les fera revenir.

- Quand je pense que tu es l’héritier de deux royaumes… Alors que tu m’en voulais d’être moi-même vaguement princesse ! C’est assez drôle, non ?

- C’est vrai. Même si j’avoue que ton mariage avec mon oncle ne me donne pas tellement envie de rire.

- …

- D’ailleurs, tu te trompes. Je ne suis l’héritier de rien du tout. A Héliopolis, ce sont les femmes qui héritent. Et à Champarfait, il faut être un enfant légitime. J’ai tout faux, des deux côtés. En revanche, mon existence est une menace pour les deux royaumes, ça oui.

- Tu n’as vraiment aucune envie de reconquérir ton nom ? Ton héritage ?

- Quel héritage ? Je suis un Lointain, Lumi. Je ne possède rien, pas même ma paillasse sur ce bateau. Et cela me convient très bien. Que voudrais-tu que je fasse de deux royaumes qui me détestent tous les deux ?

- Je ne pense pas qu’Héliopolis te ferait mauvais accueil.

- Peut-être, mais ça ne change pas grand-chose. Je n’ai nul besoin d’un royaume, ou d’un petit bout de royaume, même si celui-ci voulait bien de moi.

- …

(Il se leva et s’habilla dans la lumière blafarde du petit matin. Ses yeux brillaient comme deux perles de cuivre mouvant, ses cheveux noirs retombaient sur son front et ses gestes étaient un peu tremblés, un peu hachés. Puis dans un mouvement soudain, presque impérieux, il mit deux gouttes de produit miracle dans chacun de ses yeux qui bleuirent instantanément.)

- Lumi, je sais que c’est important pour toi, toutes ces histoires de couronnes et de lignées. Mais ce n’est ni ma culture, ni mon mode de vie. Rotu est mon oncle, bon ! Dont acte. Mais je ne suis pas comme lui.

- Heureusement !

- …

- D’ailleurs, tout le monde disait que le prince Lomu était droit et doux, courtois devant les femmes et courageux devant les hommes. Rien à voir avec son affreux petit frère.

- Euh, peut-être ; quoi qu’il en soit… Ce que je veux dire, c’est que je ne serai jamais prince. Alors tes rêves de jeune fille, avec la belle robe, la salle de bal, le diadème… C’est une histoire que je ne veux pas écrire. Tu comprends ?

- Mais…

- J’ai besoin de prendre l’air, Lumi. Excuse-moi. On en reparlera plus tard. »

Il sortit en silence, avec un gentil petit signe de la main… Mais il ne m’embrassa pas.