Chapitre LVIII (1/2)

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Je n’avais apprécié que moyennement la sortie d’Orcinus, pour ne pas dire sa fuite, en plein milieu de notre discussion. Car même s’il ne voulait pas entendre parler de tout ce passé qui venait de lui sauter à la figure, il me semblait difficile de faire comme si nous ne savions rien. Comme si rien n’avait existé. Comme si ses parents n’étaient que des anonymes. Comme si mon pays, en l’absence de son héritier légitime, n’était pas livré à Rotu pieds et poings liés.


Je choisis cependant de respecter son envie de solitude, et en profitai pour aller au cabinet médical afin de prendre des nouvelles de Milos. Lorsque j’ouvris la porte, je trouvai le médecin avachi à son bureau comme un vieillard ou comme un malade. Je lui tâtai le front, puis je lui pris la main avec une certaine autorité pour l’amener jusqu’à l’infirmerie, juste en face, où je l’allongeai dans un lit malgré toutes ses objections. Il avait la peau blanchâtre, les yeux éteints, les cheveux plats. Mais il avait encore assez d’énergie pour protester contre mon auscultation improvisée.


« - Lumi, je te remercie de vouloir t’occuper de moi, mais je te rappelle que je suis médecin. Je suis encore capable de soigner une migraine… Ou une gueule de bois !

- Inutile de râler ! D’ailleurs, c’est toi-même qui m’as dit, il y a longtemps, qu’avec mon sang d’Asclépios, je pouvais tout-à-fait soulager un médecin dans le traitement d’un patient… Attachant mais pénible, ou quelque chose comme ça ?

- Je voulais parler d’Orcinus, et tu le sais très bien ! D’ailleurs, vous devriez me remercier, tous les deux. Si je ne t’avais pas confié le changement de ses bandages, à l’époque, je parie que ni lui ni toi n’auriez encore osé faire le premier pas ! Il fallait bien que je m’en mêle…

- Quoi, c’est pour ça que tu m’as demandé de t’aider ?

- Absolument.

- …

- Lumi, il te plaisait, tu lui plaisais, cela sautait aux yeux ! Mais il fallait vous aider un peu… Alors voilà. D’ailleurs, je ne t’ai plus jamais demandé d’aide pour aucun autre patient.

(Je souris franchement.)

- C’est vrai ! Bon, quoiqu’il en soit, tu as besoin d’un bon remède contre le mal de tête, d’un cataplasme sur le front et de quatre bonnes heures de sommeil.

- Lumi…

- Oui ?

- Comment va Orcinus ?

- Pas trop mal. Enfin, on a un peu discuté, mais il ne veut pas vraiment entendre parler de tout ça. Et de tout ce que ce passé implique ! Il est parti prendre l’air, là. Tout seul.

- Bon… Il t’aime, alors il reviendra.

- Moi aussi, je l’aime. Même si j’aurais préféré ne jamais savoir qu’il est le neveu de mon mari.

- Ah ! C’est vrai… Bon, ce n’est pas comme si vous aviez des liens de sang, tous les deux.

- Je sais. Mais c’est quand même un peu embrouillé dans ma tête.

- Lumi, as-tu vraiment envie d’être la femme d’un prince ? La reine de Champarfait ?

- Non. J’en ai rêvé, c’est vrai, quand j’étais petite fille… Comme toutes les petites filles, je crois ! Mais maintenant, franchement, ça ne me tente plus du tout. Quand j’étais mariée à Rotu, j’ai dû enchaîner les mondanités creuses et les obligations protocolaires, sans parler des habits infiniment lourds et rigides dans lesquels on ne peut ni vraiment rire, ni vraiment marcher. En plus, j’ai pris l’habitude de naviguer, de voyager, depuis que je suis avec vous. Alors si on m’enfermait dans un palais, fût-il royal, je deviendrais folle. Et je n’y survivrais pas.

- Bon ! Eh bien, voilà exactement ce que tu devrais dire à Orcinus.

- Tu crois ?

- J’en suis sûr.

- …

- Allez, ma belle. Apporte-moi donc un grand verre d’eau, deux cuillérées de ce remède bleuâtre que tu vois là sur l’étagère, une couverture bien chaude… Et file le rejoindre. Je n’aime pas le savoir seul.

- Bon, j’irai le voir… Mais après la classe. Là, mes élèves ne vont pas tarder. En attendant, le médecin du bord va dormir bien sagement, comme n’importe quel malade. Promis ?

- Promis ! »


Je déposai un chaste baiser sur la joue blafarde de Milos, remontai la couverture jusqu’à son menton et rejoignis le réfectoire pour me restaurer un peu. J’avais une faim de loup, due à mes émotions autant qu’aux bières de châtaigne dont nous avions un peu abusé la veille. Aussi engloutis-je tour à tour deux tranches de pain aux algues tartinées de rillettes de crabe à l’aneth, deux grands verres de thé noir et trois verrines de purée d’oursin aux oeufs de truite.


A mes côtés, Tempetus et Perkinsus disputaient une partie de cartes endiablée, rythmée de jurons et d’éclats de rires, dont je m’auto-proclamai l’impartiale arbitre.

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