Chapitre LVIII (2/2)

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Avant de devoir choisir un vainqueur entre mes deux amis, ce qui aurait pu comporter quelques risques, je fus sauvée par la clochette du bord annonçant le début de la classe. Ouf !

Je m’éclipsai donc en m’excusant, ravie de cette diversion. Je me dirigeai vers la sainte-barbe, non sans réprimander au passage deux de mes élèves qui s’amusaient à tirer sur les tresses d’une petite camarade.

Le leçon du jour était un texte poétique champarfaitois qui vantait le courage d’un saumon légendaire, né dans l’une de nos rivières sacrées, qui avait parcouru le monde dans le sillage d’un navire Lointain, épousé une baleine à bosse venue des Pays Froids et exploré des contrées inconnues du Nord au Sud du continent avant de revenir mourir, plusieurs centaines d’années plus tard, à l’endroit exact où il était né. Ce fut l’occasion d’une leçon sur les noms des différentes espèces, mais aussi sur les termes employés en champarfaitois pour désigner les branchies, les nageoires et autres parties de l’anatomie des poissons.



Comme toujours lorsque je leur dénichais des textes en lien avec la mer ou les rivières, avec la faune ou la flore, les enfants se montrèrent intéressés, pertinents, curieux. Et remuants, certes, parce que ces enfants élevés au grand air avaient toujours autant de mal à rester assis plus de trente minutes d’affilée ! Mais j’en avais pris mon parti depuis longtemps, et j’avais désormais en stock, et en tête, des dizaines de petites comptines ou de jeux d’éveil qui leur permettaient de se lever, de chanter, de tourner en rond dans la sainte-barbe, de canaliser leur énergie tout en restant dans le cadre de la classe.

Le contact simple, franc, sans chichis ni calcul, qui s’établissait avec mes élèves me faisait beaucoup de bien. Lorsque la fin du cours sonna, j’avais presque oublié ce passé qui flottait désormais au-dessus des épaules d’Orcinus ! Toutes ces histoires de sang, d’héritage, de destins royaux, me semblaient soudain bien éloignées de mon quotidien. L’essentiel n’était-il pas là, juste sous mes yeux, dans les sourires fascinés des enfants, dans les bras chargés de victuailles de notre maître-cuisinier qui rentrait du marché, ou dans le sourire fatigué, mais bienveillant, que me renvoya Milos lorsque je retournai le voir à l’infirmerie ?

C’est d’ailleurs là qu’Orcinus me retrouva, quelques heures plus tard. J’avais emprunté un roman d’aventures dans la bibliothèque de la sainte-barbe et je m’étais installée, éclairée par une bougie et un sabord entrouvert, sur un lit vide de l’autre côté de l’infirmerie. Le silence était léger, saupoudré çà et là de quelque éclat de voix venu des cabines des capitaines ou du pont batterie. Orcinus se dirigea vers moi de son pas élastique, un peu fatigué, il déposa sur mon front un baiser rapide comme un albatros puis il rejoignit le lit sur lequel reposait Milos, et s’assit doucement sur le rebord.

« - Tu te sens mieux ?

- Un peu.

- …

- Ne t’inquiète pas, Orcinus. Je suis un dur à cuire ! Et tu devras attendre quelques longues années avant de devoir te préoccuper de mon héritage, en plus de tous les autres.

- Quoi ? Mais…

- Eh bien, que croyais-tu ? Je t’ai vu grandir, je t’ai appris à te tenir à table et j’ai fait presque tous tes devoirs de sciences ! A qui d’autre pourrais-je léguer mes quelques biens ?

- Mais enfin, c’est donc une obsession, dans les autres pays, que tous ces trucs d’héritage ?!

- Je crois que le peuple Lointain est le seul à ne pas reconnaître le droit de propriété.

- Et tu vas m’annoncer que tu es le roi de quelque caillou au large d’Asclépios ? L’héritier incontestable d’une lignée ancestrale dans je-ne-sais-quel royaume ? J’en ai déjà deux sur les bras, alors si tu en as un troisième, ne te gêne pas pour le dire.

(Milos sourit avec beaucoup de douceur.)

- Rassure-toi, Orcinus. Je ne possède rien. Ni terre, ni or, ni titres. Tout ce qui m’intéresse, c’est de te rappeler que je n’ai pas d’autre enfant que toi. Et que je suis là pour toi, si tu as besoin de moi. Enfin, je serai là pour toi, dès que j’aurai vaincu cette épouvantable migraine ! Sois gentil, Orcinus, rapporte-moi un peu de ce remède bleu, là. Et ensuite, vous allez devoir me laisser dormir, Lumi et toi. Je vous promets de ne pas bouger. Mais vous, ne restez pas enfermés ici avec moi. Allez, mes enfants : ouste ! Je vous retrouverai plus tard. »

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