Chapitre LXII (1/2)

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Le Grand Conseil eut lieu dix jours plus tard, dans une effervescence étrange. Cette instance de décision se réunissait très régulièrement depuis des siècles, mais quelque chose s’annonçait un peu différent cette fois-là. Les Lointains allaient-ils vraiment prendre part à une guerre pour la toute première fois de leur Histoire ? Ou bien fallait-il, par sécurité, renoncer définitivement aux tournées et aux représentations aux quatre coins du monde, c’est-à-dire à tout notre mode de vie, à toute notre civilisation ?

Orcinus était horriblement anxieux et, pour être franche, relativement pénible à force de silences, de raideur et de nuits blanches. Aussi fus-je nettement soulagée lorsque le jour J pointa enfin le bout de son aube ! J’avais beau aimer mon amoureux de tout mon cœur, je ne pouvais rien faire d’autre que de lui conseiller la patience et la confiance, et j’avais hâte de passer au chapitre suivant. Quel qu’il soit…

Heureusement, c’était un jour de classe. Aussi la matinée passa-t-elle relativement vite, même si mon cœur battait trop fort, même si mes oreilles bourdonnaient un peu, même si chaque bruit inhabituel me faisait sursauter. L’après-midi, en revanche, fut d’un ennui mortel, comme si Aquahé et toutes les divinités du monde s’étaient amusées à arrêter la course du temps, juste pour me rendre folle !

Je m’étais installée sur la plage, à l’ombre d’un palmier, avec un livre et un grand verre de jus d’ananas. Mais je ne lus pas une ligne, je ne bus pas une goutte. J’étais nouée des pieds à la tête, et ni ma gorge, ni mon esprit, n’étaient capables de faire quoi que ce soit. Au fil des heures, une grande partie de la troupe s’installa autour de moi, qui sur le sable, qui sur une table improvisée.

Rutila, Salmus, Aurata, Alexandrius et Ventura assistaient évidemment au Grand Conseil. Orcinus avait choisi de les attendre, seul, devant la porte de l’agora. Mais Perkinsus, Tempetus et tous les autres patientaient avec autant de fébrilité que de désoeuvrement pour connaître le résultat des pourparlers.

La soirée passa à la lueur presque vivante des flambeaux de palmes, entre brochettes de crabes, parties de cartes et calebasses de punch. La nuit tomba peu à peu, les étoiles apparurent dans un ciel d’encre, les alizés étaient frissonnants et doux… Certains finirent par rejoindre leurs bateaux-lit, amarrés dans les eaux calmes du lagon, tandis que d’autres veillèrent encore. Et ce n’est que très tard dans la nuit que le héraut se présenta, avec ses vêtements d’azur et son parchemin officiel, pour nous lire le délibéré du Grand Conseil des Lointains.

« Oyez, oyez ! Aujourd’hui, le Grand Conseil des Lointains s’est réuni pendant seize heures et vingt-quatre minutes en session extraordinaire à la demande du capitaine Salmus. Six cent quinze conseillers étaient présents, représentant cent vingt-trois tribus. Les débats portèrent sur l’attitude à adopter face au conflit opposant les royaumes de Champarfait et d’Héliopolis, suite à la mort de la reine régente du premier et à l’opération militaire initiée par la princesse régnante du second. En effet, il a été porté à la connaissance du Grand Conseil des informations fiables et vérifiées prouvant que feu le prince Lomu, héritier du trône de Champarfait, qui a trouvé la mort au cours d’un naufrage en compagnie de son épouse héliopola et de leurs deux enfants, a été assassiné à la demande de sa propre mère. De plus, un témoignage sérieux atteste de la violence dont a fait preuve le roi Rotu à l’encontre de sa jeune épouse, juste après leurs noces. Ces informations, bien que ne concernant pas directement les Lointains, sont de nature à impacter la marche du monde et à nous faire douter de la légitimité et de la bonne foi de l’actuel souverain de Champarfait. Voici le résultats des votes, certifiés conformes par la doyenne de notre peuple, Aurata. Quatorze voix pour organiser l’assassinat du roi Rotu lors d’une prochaine escale à Champarfait. Cent-vingt-huit voix pour reprendre nos tournées et nos représentations comme auparavant, sans interférer dans la politique de Champarfait. Cent trente-et-une voix pour former une armée et attaquer le royaume de Champarfait aux côtés d’Héliopolis. Trois cent quarante-deux voix pour apporter au peuple de Champarfait une aide indirecte et conforme aux valeurs de paix et d’honnêteté qui sont celles des Lointains depuis la nuit des temps. Par conséquent, le Grand Conseil des Lointains commande la rédaction d’une pièce de théâtre relatant les événements tels qu’ils se sont passés à Champarfait, depuis l’assassinat du prince Lomu par sa mère jusqu’à la violence du roi Rotu. Cette pièce sera écrite par Alexandrius, maître-conteur de la troupe de Salmus et de Rutila, dans un délai de trois mois. Ensuite, elle sera jouée à travers le monde, à toutes les représentations, pour une durée de douze semaines qui permettra, en mobilisant tous les bateaux, de diffuser la vérité à tous les peuples que nous connaissons. Bon vent à tous ! »

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