Chapitre LXIII (2/2)
(Lumi) - Je suis fière de toi, tu sais.
(Orcinus) - Parce que je suis le seul de tous les Lointains de l’Histoire à avoir du sang bleu ?
- Mais non, imbécile. Je ne parle pas de ça. Je parle de toi. Juste toi. Ton courage. Ta droiture.
- Bof. Je ne suis qu’un apprenti-conteur parmi des centaines d’autres… Je ne gagnerai jamais une guerre, sur mon beau destrier blanc, pour les beaux yeux de ma dulcinée.
- Ta dulcinée ne t’en demande pas tant ! Les mots, la vérité, ce sont aussi des armes. Avant de vous connaître, toi et les tiens, je ne le savais pas. Enfin, je le savais quand même à moitié, grâce aux livres et aux enseignements de mon père… Mais aujourd’hui, je crois vraiment que l’écriture, le théâtre et la culture peuvent changer le monde.
- Et tu n’as pas peur des représailles ?
- Si… Mais de toute façon, Rotu me déteste et me pourchasse déjà. Tant qu’à faire, autant qu’il ait une bonne raison de le faire !
- Tu n’as vraiment peur de rien…
- J’ai peur de beaucoup de choses, au contraire.
- Comme quoi ?
- J’ai peur que Rotu s’en prenne à mon père ou à mes petites sœurs. J’ai peur qu’une tempête plus puissante que les autres nous emporte tout au fond de la mer. J’ai peur de vieillir et de devenir laide ou impotente. J’ai peur du noir, quand tu ne dors pas avec moi. J’ai peur que tu te lasses de moi un jour et de devoir apprendre à vivre sans la chaleur de ta peau sous mes doigts. J’ai peur d’oublier le visage de ma mère, avec le temps… J’ai aussi peur des oursins, des méduses et des espadons.
- Mais tu ne crains plus les orques ?
- Hum… Disons que je me suis habituée à leur présence.
(Il se retourna pour me faire face, ses mains fraîches me caressant le dos et son regard franc comme un ciel de printemps se rivant au mien.)
- Lumi, les Lointains ne prennent jamais les armes, parce que nous respectons la vie et la valeur de tous les autres peuples. Mais rien ne garantit que Champarfait ne nous attaquera pas.
- Je le sais.
- D’ailleurs, nous briserons nous-mêmes notre neutralité dès que nous commencerons à jouer cette pièce pour provoquer un soulèvement contre ton premier mari.
- Mon premier mari ? J’en ai donc un second ?
(Il rougit dans une mignonnerie infinie.)
- Ton ancien mari, si tu préfères.
- Je préfère que l’on s’en tienne à Rotu. Même si je n’ai aucun plaisir à prononcer le prénom de ce monstre ! Mais il est inutile de me rappeler que j’ai été son épouse.
- …
- Orci…
- Oui ?
- Que racontera cette fameuse pièce de théâtre, finalement ?
- L’histoire du prince Lomu, de son enlèvement, de son amour pour Hanaâ, de leurs deux enfants nés sous le soleil d’Héliopolis. Et puis ce naufrage commandité par la régente de Champarfait, sa propre mère… Le petit prince disparu, mais encore vivant quelque part dans le monde. L’illégitimité de Rotu. Et son indignité, que prouve notamment la fuite de son épouse.
- Tout ton passé et une bonne partie du mien…Mais sans dévoiler ton identité, n'est-ce pas ?
- Exactement.
- …
- Lumi, je ne crois pas une seconde que Champarfait laisse les Lointains tranquilles une fois que nous aurons commencé à jouer cette pièce.
- Tu as sûrement raison. Et nous en subirons forcément les conséquences.
- Oui.
- Alors tu penses qu’il vaudrait mieux nous taire ? Ne pas jouer cette pièce ?
- …
- …
- …
- Orci ?
- Non, Lumi, je crois que nous ne pouvons pas nous taire. Si nous pouvons soutenir, même de loin, le peuple de Champarfait pour qu’il se soulève et se libère… Alors nous devons le faire.
- Bon ! Je suis d’accord avec toi. Même si cela me fait peur, à moi aussi… Serre-moi fort, Orcinus. Plus fort encore… Comme ça, ce sera comme si rien ne pouvait nous séparer. Jamais ! »
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