Chapitre LXIV (2/2)

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Nous entrâmes finalement dans l’avant-port de la capitale héliopola par une journée superbe et chaleureuse. L’eau était d’huile et le ciel d’azur, les vêtements immaculés de la population brillaient comme de la nacre dans les rues de la cité, et les quais fourmillaient de travailleurs et de curieux qui nous regardaient de tous leurs yeux. Même si les Lointains s’arrêtaient ici très régulièrement depuis des siècles, l’arrivée d’un nouveau navire, les voiles gonflées d’embruns et de nouvelles du reste du monde, était toujours un petit spectacle à elle toute seule.


Une fois amarrés dans le petit matin, nous entreprîmes de ranger le pont, décharger le matériel et autres corvées avant de nous retrouver, tous ensemble, pour déjeuner à l’ombre du réfectoire. L’ambiance était détendue, solidaire, presque insouciante, car nous savions que nous ne risquions pas grand-chose dans les eaux territoriales d’Héliopolis. Ce peuple était tissé de joies, de rires, de culture et de métissage, et détestait cordialement la rigidité, le patriarcat et le traditionalisme de Champarfait. Héliopolis était donc l’endroit idéal pour nous mettre à l’abri des fureurs de Rotu. Aussi Rutila et Salmus nous laissèrent-ils profiter de l’instant et nous rafraîchir à grandes rasades de vin de miel.


Nos réjouissances furent cependant interrompues à l’heure du dessert par le jeune Anguillus, sourire timide et pieds de plume, qui faisait partie de mon valeureux tiers de marins lorsque nous étions en mer mais qui, une fois à terre, était souvent de garde à la coupée. Il se faufila jusqu’à la table des capitaines, rouge de confusion mais avec de la détermination dans le regard. J’étais assise juste en face d’eux, aussi entendis-je parfaitement ce qu’ils se dirent.


« - Pardon, capitaines, de vous interrompre…

- Oui ?

- On vous demande à la coupée.

- Comment cela ?

- Il y a quelqu’un sur le quai, qui souhaiterait parler à Salmus.

- Mais enfin, Anguillus, s’agaça Salmus, depuis quand nous déranges-tu pour un énième curieux qui espère pouvoir visiter un bateau Lointain ou autre futilité du même genre ? Nul n’a le droit de monter à bord, tu le sais aussi bien que nous !

- Oui, mais… C’est que… Il ne s’agit pas d’une simple touriste.

- Explique-toi.

- Eh bien, elle ne s’est pas présentée… Mais je l’ai reconnue. C’est la princesse.

- La princesse ?

- Oui… Sanaâ.

- Oh… »


Il y eut alors un étonnant mouvement de foule, puisque Salmus et Rutila se levèrent et qu’au fur et à mesure que la rumeur se répandait parmi les tables (« La princesse, ici ? »), toute la troupe leur emboîta le pas dans un drôle de vacarme. Nous nous accoudâmes tout du long du bastingage, nos yeux débordant de curiosité comme nos timbales débordaient de vin. Orcinus s’était glissé près de moi, je sentais sa main s’enrouler autour de ma taille comme une hésitation. Car là où nos compagnons ne voyaient qu’une superbe princesse exotique, lui découvrait le visage de la sœur de sa mère pour la toute première fois.


Sanaâ était là, très droite, très élégante, avec sa peau de jais qui buvait le soleil, ses yeux de diamant noir à la fois bruts et délicats, et sa tenue vaporeuse, d’un bleu profond et lumineux comme un soir de fête. Elle était d’une noblesse absolue et d’une beauté irréelle, dans un mélange de force et de fragilité qui se passait de mots autant que de commentaires.


Salmus prit la parole dans un héliopoli très assuré, très sonore, présentant au passage Rutila comme sa co-capitaine et demandant à la princesse ce que nous pouvions faire pour elle. Celle-ci lui répondit d’une voix limpide, aiguisée, et pourtant pleine d’espoir.


« Bonjour, capitaine Salmus. Merci pour ton accueil ! Je n’ai pas oublié notre entretien, il y a quelques années, dans la fraîcheur ombreuse de mon palais, alors que tu cherchais un abri pour une jeune demoiselle…

(Son regard parcourut les visages un à un avant de s’arrêter un instant sur le mien, et un sourire entendu, fin comme la nuit, illumina ses traits.)

- Ta visite nous honore, ô Sanaâ. Comment pouvons-nous t’aider ?

- En répondant à une question que je pose à tous les bateaux Lointains qui font escale ici, depuis quelque temps : savez-vous où se trouve mon neveu ? »

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