Chapitre LXV (2/2)
Deux minutes plus tard, je lui fus donc officiellement présentée.
« Lumi, voici Nautila ! Quand on avait treize ans, on voulait se marier.
- Euh ! balbutiai-je sans aucune élégance.
- Je suis ravie de te rencontrer, affirma l’intéressée. Orcinus a certainement dit exactement ce qu’il fallait pour que tu me détestes d’emblée, mais ne t’inquiète pas : j’ai grandi, depuis ! Tu n’as rien à craindre.
- C’est une manière de dire que je ne te plais plus du tout ?
- …
- Absolument ! Même si tu as eu tort de me laisser tomber pour cette fille, là… Comment elle s’appelait, déjà ?
- Ventura. Un autre sujet de discussion que Lumi adore !
- Moui, t’entendre vanter les qualités de tes anciennes conquêtes est toujours un immense plaisir. C’est fou comme tu me connais bien !
(L’animal sourit d’un air moqueur et satisfait.)
- Bah, ne t’inquiète pas, Orcinus a toujours besoin de vérifier que l’on tient à lui… Mais c’est bon signe ! Moi, j’étais trop éloignée : on ne se voyait jamais. Quant à Ventura, je crois qu’au contraire, elle était trop proche de lui. Mais toi, Lumi, tu lui apportes l’exotisme à domicile : c’est un équilibre parfait.
- Eh, tu es obligée de parler de moi comme si je n’étais pas là ?
- J’espère quand même, murmurai-je, que j’ai d’autres qualités que cette histoire d’exotisme à domicile…
- Tu dois en avoir beaucoup, affirma Nautila, vu son air idiot quand il te regarde.
- Ohé ! Les filles ! Je suis là…
- Tiens, tiens… J’ai l’impression que contre toute attente, nous pourrions nous entendre !
- Oui ! Et si j’ajoute qu’entre-temps, je suis mariée à un homme que j’aime, qui ne passe sa vie en haut des mâts et qui n’a pas peur de nager dans la mer, contrairement à d’autres… Que nous avons un enfant de six mois et que je suis très heureuse ?
- Pfff… maugréa Orcinus dans sa barbe de trois jours.
- Alors tope-là, Nautila ! Et la prochaine fois que qui-tu-sais râlera que je suis trop jalouse, je lui rappellerai cette discussion pour lui prouver que non.
- Parfait ! confirma-t-elle en me serrant la main dans un geste théâtral.
- Quelque chose me dit que je vais regretter de vous avoir présentées l’une à l’autre… murmura Orcinus avec son air de gamin grognon. En attendant que vous ne fomentiez je-ne-sais-quel complot contre moi, Nautila, sais-tu ce que vous faites par ici ? Vous êtes bien loin de votre zone de navigation habituelle.
- Eperlanus voulait absolument parler à vos capitaines… Et nous vous avons suivis à la trace, avant de vous rejoindre enfin. Qu’il fait chaud, dans ce pays ! Heureusement, il paraît qu’ils font une délicieuse bière de châtaigne… Et Sikinos, notre médecin, dit que c’est excellent pour l’allaitement. Je vous offre une chope dans cette petite taverne là-bas, juste au bout du quai ?
- Voilà une excellente idée ! Je ne suis pas forcément convaincu par ton histoire d’allaitement, mais n’étant pas concerné, j’imagine que je ne risque rien.
- …
- Tu verras, quand Lumi aura fait de toi un gentil petit papa gâteau !
- Eh bien, le cas échéant, je ne pense quand même pas allaiter… On y va ?
(Je rougis.)
- Merci, répondis-je, c’est sympa de proposer mais je vais vous laisser y aller entre vieilles connaissances.
- …
- Vieilles ? grogna Orcinus d’un air faussement outré.
- Surtout toi, mon chéri ; Nautila est manifestement beaucoup plus jeune.
- Absolument !
- Si ma mémoire est bonne, tu n’as que deux mois de moins que moi…
- …
- Allez, mon vieux, allons-y avant d’être trop grabataires pour marcher jusque là-bas… Lumi, je t’aime déjà ! Si tu apprécies les sourires lumineux et les poèmes éblouissants, tu as toutes les chances d’avoir pioché le bon numéro avec cet énergumène. Tu viens, Orcinus ? »
Etonnamment, je les laissai partir tous les deux sans ressentir une once de jalousie envers Nautila, malgré sa plastique parfaite et leur évidente complicité. Et j’en éprouvai une fierté inédite envers moi-même et une sérénité non moins inédite concernant mon amoureux.
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