Chapitre LXVI (1/2)
Je laissai donc Orcinus vaquer à ses retrouvailles et rejoignis les plus fidèles de mes amis : Tempetus et Perkinsus, comme d’habitude aimantés à leur jeu de cartes, à leurs gorgées de liqueur d’anémone et à leur délicieux mauvais esprit. Ils m’accueillirent à bras ouverts et nous ne tardâmes pas à échanger coups de maître et coups de bluff au milieu d’un joyeux brouhaha.
Deux heures plus tard, Orcinus nous rejoignit. Il semblait serein et content de sa soirée, mais il m’embrassa avec un empressement suffisamment mignon pour que je comprenne qu’il n’était pas mécontent de me retrouver, malgré les multiples atouts de la belle Nautila qu’il avait bien sagement raccompagnée jusqu’à son bateau. Je lui souris donc, ravie de constater qu’il était revenu à moi tout naturellement, puis nous nous concentrâmes sur le jeu.
Nous fûmes probablement les seuls à ne pas remarquer un homme seul, très élégant, avec dans les yeux l’habitude du commandement et dans la démarche le rythme de la mer, qui passait de table en table, cherchant visiblement quelqu’un parmi les visages qu’il croisait. Il s’arrêta finalement devant Rutila, qui discutait avec Milos, Aurata et Alexandrius juste derrière nous. Nous n’eûmes donc pas besoin de tendre l’oreille pour entendre la conversation.
« - Bonsoir, Rutila.
- Eperlanus ! Voilà une bonne surprise. Veux-tu t’asseoir avec nous ? Puis-je t’offrir une liqueur ? Un vin de miel ? Ou une bière de châtaigne achetée hier à un artisan de ce pays ?
- Merci, mais je n’ai pas le temps de m’attarder. Je suis venu à Port-Eden pour te parler, Rutila.
- Vraiment ? Que se passe-t-il ?
- J’ai un paquet pour toi.
- Un paquet ?
- Un paquet qui a déjà parcouru bien des milles ! Il a d’abord été expédié de Champarfait à Asclépios sur un navire marchand. Là, comme aucun nom n’était indiqué sur l’emballage, les médecins l’ont ouvert… Et dessous, ils ont trouvé un second emballage, adressé aux Lointains. J’étais là par hasard, alors ils me l’ont remis. Et je suis tombé sur un autre paquet plus petit, qui portait ton nom. Je me suis dit que ce serait l’occasion d’emmener mon équipage visiter des contrées que nous traversons rarement, nous autres marins d’eaux froides ! Et de te saluer, ainsi que Salmus, au passage.
- Salmus s’est retiré dans sa cabine, déjà… Mais je lui transmettrai tes salutations. Voyons voir ce colis voyageur… Mais ! Il y a encore un autre emballage plus petit à l’intérieur ! Et… Ah, voilà enfin le nom de son destinataire final, je pense.
- Tu as sûrement raison. Lu… mi ! Ce nom te dit quelque chose ? »
Chacun se tourna vers moi et Rutila me tendit l’enveloppe sans ajouter un mot. Je me levai pour m’en saisir et l’examinai sous toutes les coutures. Pourquoi avait-on pris la peine de lui faire faire presque le tour du monde ? Voilà qui était étrange ! Aussi m’excusai-je auprès de mes compagnons de table et descendis-je rapidement dans la voilerie pour trouver un peu d’intimité.
Je m’assis sur la paillasse, respirai un grand coup, ouvris l’enveloppe… Et restai un peu stupide, sans tout de suite comprendre ce que j’avais entre les mains. Puis je réfléchis, et lorsqu’un quart d’heure plus tard, Orcinus arriva d’un air interrogateur, j’avais fini de reconstituer l’histoire.
« - Alors, mademoiselle, c’est ton amant caché qui t’envoie des chocolats en douce ?
- …
- Tu fais une drôle de tête… Ce sont des mauvaises nouvelles ?
- Je pense que c’est de la part de mon père.
- Il va bien ?
- Je crois… Enfin, je ne sais pas.
- Bon. Peux-tu essayer d’être plus claire ?
- …
- …
- Eh bien, je pense que c’est mon père à cause de ce livre… C’est un manuel de médecine. Il appartenait à ma mère. Et quand j’étais jeune, j’ai prié, supplié, pour avoir le droit de le lire. Mais mon père refusait toujours, parce que ce n’était pas de mon âge. Et voilà que, comme par hasard, c’est dans ce livre que m’arrive ce drôle de message.
- Quel message ?
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