Chapitre LXVI (2/2)
(Lumi) - D’abord, il y a une proclamation officielle du palais, signée de Rotu, qui annonce ma mort.
(Orcinus) - Quoi ?
(Orcinus devint blanc comme un linge, ou comme un Champarfaitois, sous son teint de miel.)
- Tu as très bien entendu. Ce cher Rotu m’a déclarée morte.
- Mais…
- J’imagine que c’est une façon de me rayer de sa vie ! Mais ce n’est pas tellement le problème.
- Tu es officiellement morte et ce n’est pas un problème ?
- Regarde ce second papier.
(Il parcourut le feuillet d’un air grave, sourcils froncés et oeil de glace.)
- C’est… un ordre de réquisition ?
- Oui. Rotu exige la mise à disposition immédiate d’un navire marchand.
- Et en quoi cela nous concerne-t-il ?
- Tu ne comprends donc pas ? Il a annoncé ma mort pour être tranquille, mais en réalité, il va utiliser l’un des bateaux dont il dispose pour partir à ma recherche.
- Champarfait a donc une flotte royale ?
- Non. juste quelques galères à voile pour approvisionner les Asclépios, sur leur île.
- Et tu crois que ton cher mari veut te poursuivre avec une embarcation pareille ?
- Nous poursuivre, oui. S’il réquisitionne un bateau, c’est forcément qu’il sait que je suis avec vous. Sinon, pourquoi signerait-il un tel ordre juste après avoir déclaré ma mort ?
- …
- …
- Lumi, tu es sûre que cela vient bien de ton père ? Il n’y a pas de mot, pas de signature…
- Seul mon père aurait choisi précisément ce livre parmi les milliers que compte sa bibliothèque ! Il aura voulu me prévenir, mais sans laisser de preuve, pour ne prendre aucun risque.
- Te prévenir…
- Oui. Que Rotu est à ma recherche. Et comme il sait que tu es vivant… Enfin, que son neveu est vivant ! Il va essayer de faire d’une pierre, deux coups.
- Tu ne crois pas que ça puisse être un piège ?
- Non ! Seul mon père connaît les origines de ma mère. Lui seul a pu choisir justement ce livre, un traité de médecine, pour que je comprenne que le message vient de lui.
- Hum… Tu oublies que la reine connaissait ce secret, puisqu’elle avait fait signer à ton père un serment solennel de ne pas le divulguer.
- La reine est morte.
- Elle a très bien pu en parler à son fils.
- Même si elle l’a fait, ça ne change pas grand-chose… Personne, à part mon père, ne sait à quel point j’ai insisté pour qu'il me donne accès à ce livre-ci, spécifiquement.
- Peut-être…
- J’en suis sûre.
- Et donc, officiellement, tu es morte ?
- Apparemment, oui.
- Et c’est tout ce que ça te fait ?
- Ma foi, puisque je suis morte, je ne suis plus la femme de Rotu.
(Il se rembrunit comme un gamin contrarié.)
- Lumi, je te rappelle que tu n’es plus sa femme depuis ton passage devant le Conseil des Cinq.
- Si tu voyais ta tête, Orci… Tu es tellement mignon quand tu es jaloux !
- Je ne suis pas jaloux.
- Vraiment ?
- Oui. Je n’aime pas savoir que tu te considères toujours marié à un autre, c’est tout.
- Ce n’est pas moi, c’est la loi de Champarfait, qui me considère comme mariée… Enfin, qui me considérait comme mariée, jusqu’à ce que je sois déclarée décédée. Mais n’en déplaise à ce cher Rotu, non seulement je suis vivante, mais en plus, je suis libre.
- Jusqu’à ce qu’il te retrouve et nous massacre tous…
- Tu parles… Il n’est pas près de nous rattraper, avec ses pauvres galères à fond plat !
- J’aimerais en être aussi certain que toi.
- En attendant, si Rotu prend la mer pour me courir après, ou pour nous courir après, le royaume pourra peut-être souffler un peu. Et puis, qui sait, peut-être que les tempêtes, les écueils, les avaries, seront de notre côté et débarrasseront le monde de ce triste sire ?
- Je crois que tu prends tes rêves pour des réalités.
- Et pourquoi pas ? il est mortel, comme nous tous. Et il n’a pas d’héritier direct. A part toi…
- …
- Orcinus, j’ai envie de voir le bon côté des choses, pour une fois. Mon petit papa veille sur moi, mon horrible mariage n’existe plus et nous sommes ensemble. Les choses ne vont pas si mal.
- Si seulement tu pouvais avoir raison… »
Orcinus avait sa tête des mauvais jours et il était évident qu’il ne partageait pas du tout mon optimisme. Je parvins cependant à le distraire, à grands renforts de baisers volés et de caresses plus ou moins innocentes.
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