Chapitre LXVII (2/2)

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Cette fois-ci, Ventura fit immédiatement appeler la capitaine. Mais quelque chose était différent : quand il fut à portée de vue, le navire ne chercha pas à s’approcher de nous, et encore moins à nous attaquer. Il resta là, à quelques encablures sur notre bâbord, et fit route avec nous. Comme s’il nous suivait, nous surveillait, ou nous menaçait, mais sans pour autant vouloir nous détruire. Ou du moins, pas tout de suite !

A chaque nouveau quart, nous évaluions son cap, sa distance, sa vitesse, pour les consigner dans le livre de bord. Et après quelques jours, Ventura n’avait plus aucun doute : ce bateau inconnu nous escortait sans que personne ne comprenne pourquoi. Qui étaient ces marins qui ne portaient pas de pavillon ? D’où venait ce navire étrange que nul n’avait jamais vu, malgré des siècles de présence Lointaine aux quatre coins des océans ? C'était à n’y rien comprendre.

Tout en donnant nos représentations, nous étions montés tout au nord du continent, jusqu’à cette cité isolée, couverte de roches noires et de lichens azur, où nous étions déjà passés mais dont je restais incapable de prononcer correctement le nom. Puis nous avions rebroussé chemin, afin de redescendre lentement, de port en port, jusqu’aux terres rouges et safranées d’Héliopolis.

Comme d’habitude lorsque nous arrivions au port, surtout dans une ville aussi intense et aussi joyeuse que celle-ci, tout l’équipage se réunit sur le pont, à observer, à discuter ou à manoeuvrer. Rutila donnait ses ordres d’une voix égale et ferme, tout en gardant un œil sur cette voile aurique, anonyme, insistante, qui semblait nous observer depuis le bassin de l’avant-port. Manifestement, notre poursuivant allait jeter l’ancre et patienter ainsi jusqu’à notre départ. Et si nous nous étions habitués à sa présence, nous ne nous l’expliquions toujours pas ! Aussi le surveillions-nous tous, comme lui semblait nous surveiller : de loin, mais attentivement.

Ni Orcinus ni moi n’étions de quart à cet instant-là, mais nous ne nous étions pas mêlés à nos compagnons pour voir grandir et s’approcher les quais d’Héliopolis. Nous étions perchés sur la hune du mât de misaine, main dans la main, nos regards concentrés sur la foule animée, les échoppes colorées et les parfums poivrés qui se précisaient au fil de notre accostage. Orcinus ne disait rien, mais je ressentais la tension de ses muscles et de ses gestes : il n’avait pas oublié la visite-surprise que nous avait accordée la princesse lors de notre précédent passage.

« Tu sais, Orci, à Champarfait, nous avons un proverbe qui dit : on ne vainc pas une tempête en l’évitant, mais en la traversant.

- …

- Tu devrais aller la voir.

- Mais de quoi parles-tu ?

- De ta tante, Sanaâ.

- Non.

- …

- Et puis, ce n’est pas prudent de parler de ça, même ici. Les haubans et les vergues sont un peu comme les murs : ils peuvent avoir des oreilles.

- Il n’y a personne, ils sont tous sur le pont et tu le sais très bien. Si tu ne veux pas en parler, dis-le ! Mais ne m’invente pas je-ne-sais-quel prétexte de sécurité.

- Ce n’est pas un prétexte, Lumi. Mais tu as raison : je n’ai pas envie d’en parler.

- N’as-tu pas été touché de la voir et de l’entendre, l’autre fois, sur le quai ?

- Si. Bien sûr que si.

- Alors pourquoi ne vas-tu pas la rencontrer ? Elle serait heureuse de te connaître. De t’entendre. Et elle pourrait te parler de ta mère, peut-être…

- Il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire pour tout savoir sur ma mère.

- Alors tu vas la laisser comme ça, toute seule, continuer à supplier tous les bateaux Lointains qui font escale à Héliopolis de lui dire s’ils savent où tu es, qui tu es ?

- Je ne peux pas faire autrement.

- Tu ne veux pas, c’est différent.

- …

- Moi, elle m’a fait de la peine. Elle est si belle, si forte, si puissante ! Et pourtant, seule sur ce quai, elle avait l’air fragile comme une toute petite fille.

- …

- Tu sais, Orcinus, avec toutes ces choses étranges : ce bateau qui nous suit, Rotu qui a attaqué Eperlanus, tout ça… Je m’inquiète.

- Moi aussi ! Et c’est justement pour ça que je ne vais pas dire la vérité à la princesse Sanaâ. Parce que ça ne pourrait que nous mettre en danger. Et parce qu’un secret, lorsqu’il n’est plus secret, peut être la pire des bombes à retardement. »

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