Chapitre LXVIII (2/2)
(Lumi) - …
(Princesse Sanaâ) - …
- Oui, princesse. Votre neveu va bien.
(Les larmes lui montèrent aux yeux avec autant de retenue que de majesté.)
- Merci, Lumi.
- …
- Est-ce qu’il sait qui il est ?
- Depuis pas très longtemps ; mais oui, maintenant, il le sait.
- Pourrais-je le voir ?
- Je ne sais pas… Pour l’instant, il ne le souhaite pas. Parce que le secret le protège, mais aussi, à mon avis, parce qu’il n’a pas fini d’accepter la réalité. Pendant toute sa vie, il a cru qu’il était Lointain. Alors évidemment…
- Evidemment, quand on a grandi au grand air, sur les mers, sans contraintes ni terres, et que l’on découvre être le rejeton caché de deux têtes couronnées…
- Exactement.
- Est-ce qu’il ressemble à sa mère ?
- Je ne sais pas trop... J’ai vu quelques portraits d’elle, et aussi du prince Lomu, mais je ne saurais pas vous dire à qui il ressemble.
- A-t-il vraiment des yeux d’ambre ?
- Oui.
- Et pour le reste, comment est-il ?
- Très Lointain ! Il est trop grand pour Héliopolis et trop petit pour Champarfait. Sa peau est cuivrée, chaleureuse comme du café au lait, et ses cheveux sont noirs et lumineux. Il a les gestes fluides comme des embruns et la démarche solide comme une vague. Vous seriez fière de lui, princesse, car il est très beau.
- Voilà qui ne m’étonne pas : sa mère était une vraie poupée d’ébène et son père semblait tout droit sorti d’une ballade romantique… Quant aux Lointains, ils sont de loin le plus beau peuple du monde connu : si mon neveu est passé inaperçu au milieu d’eux pendant toutes ces années, c’est forcément qu’il leur ressemble. Même si j’ai l’impression que tu n’es pas totalement objective à son sujet…
- …
- J’aimerais tellement le voir, le prendre dans mes bras ! J’aurais presque l’impression de retrouver Hanaâ, mes jeux d’enfant, le parfum de ses cheveux…
- Je comprends, princesse. Mais vous aussi, essayez de comprendre.
- Tu as raison. Et lui aussi a raison : Rotu le tuera s’il découvre qui il est.
- …
- Merci, Lumi, d’être venue me dire que mon neveu se portait bien. Même si tu dois garder son secret, c’est un geste que je n’oublierai pas.
- Vous sembliez si triste, et pourtant si forte, lorsque vous êtes venue interroger Salmus à la coupée… Je ne pouvais pas vous laisser dans l’ignorance.
- J’étais épuisée et découragée, à force d’interroger tous les bateaux Lointains sans jamais obtenir de réponse… Mais finalement, j’ai bien fait de ne pas baisser les bras ! Encore une dernière chose, Lumi, avant que j’appelle mes gens pour qu’on te raccompagne. Qu’est devenue Manaâ-té, notre servante ?
- Elle avait promis à votre sœur de prendre soin de son fils. Alors elle a tenu parole et elle a vécu parmi les Lointains, avec lui. Elle l’a fait passer pour son petit-fils, et elle l’a élevé… Mais elle est morte, il y a plusieurs années.
- Oh… C’était une belle personne, et je prierai pour que les dieux accueillent son âme dans la joie et le repos. Maintenant, va ! J’ai besoin d’être seule. »
Je quittai donc le palais, tête en vrac et gestes rigides, ne sachant pas trop où tout cela nous mènerait… Ni comment j’allais raconter cette discussion si forte, si intense, si émotionnelle, à mon amoureux si soucieux de conserver son anonymat envers et contre tout.
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