Chapitre LXIX (1/2)

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Lorsque je revins à bord, pleine d’appréhension et d’hésitations, j’eus finalement tout le temps de préparer mes phrases et mes arguments pour l’immanquable discussion que je devais avoir avec Orcinus. Car je trouvai la voilerie vide, et lorsque je passai le nez par la porte entrebâillée du réfectoire pour m’enquérir de lui, Perkinsus m’expliqua qu’il était parti chez un drapier de la vieille-ville avec Salmus et Tempetus pour acheter du lin.


Je fus presque soulagée de ce délai, et tentai de me changer les idées en m’installant dans la sainte-barbe avec un vieux roman illustré champarfaitois que j’avais lu cinq ou six fois pendant mon enfance. Mon esprit avait bien du mal à rester concentré sur le récit, et j’éprouvais le sentiment un peu aigre, un peu sourd, d’avoir commis une erreur ou tout du moins, une indiscrétion dont les conséquences privées comme publiques risquaient à chaque instant de m’échapper. D’abord, parce que la princesse Sanaâ pouvait laisser fuiter ce secret à tout moment. Ensuite, parce qu’Orcinus allait forcément me faire la tête lorsque je lui en parlerais.


J’étais donc angoissée, car le moment de vérité allait nécessairement arriver… Sauf que les heures passèrent, la nuit tomba, je finis par refermer mon livre et souffler ma chandelle, mais Orcinus n’était pas rentré. Avait-il profité d’une taverne locale avec ses compagnons au point de ne plus pouvoir revenir au bateau et de s’endormir quelque part ? Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes ! Tempetus, fidèle camarade de beuverie de Perkinsus dans ses grands soirs, était certes plus coutumier du fait. Quant à Salmus, notre capitaine, j’avais peine à croire qu’il se soit égaré à ce point en escale, alors qu’il avait la pleine responsabilité du navire et de la troupe…


Je dormis assez mal, mais je dormis quand même, m’attendant à voir débarquer le joyeux trio, plus ou moins éteint, plus ou moins imbibé, aux premières lueurs du jour. Et effectivement, alors que les rayons du soleil commençaient à percer à travers les sabords, j’entendis des voix fortes, pressées, masculines : c’étaient Tempetus et Salmus, discutant de façon assez désordonnée avec une Rutila tendue et injonctive, certainement très contrariée d’avoir été tirée de sa paillasse par le retour des noctambules.


Je ne leur prêtai guère attention et me contentai de me retourner dans le lit, m’attendant à voir Orcinus venir me rejoindre d’une minute à l’autre. Pourtant il ne vint pas, et cinq minutes plus tard, alors que je m’étais rendormie sans crier gare, Rutila me secoua l’épaule sans trop de ménagement et m’ordonna de me lever immédiatement pour la rejoindre dans sa cabine. J’avais mille questions au bord des lèvres, malgré mon esprit encore embrumé, mais elle semblait si impérative que j’obéis sans rien dire.


Lorsque j’entrai dans la cabine de la capitaine, à l’arrière du navire, je sentis tout de suite que quelque chose n’allait pas. Milos était présent, avec ses vêtements de nuit et ses grands yeux gris, muet comme une carpe et l’air aussi perdu que moi. Tempetus avait des cernes jusqu’aux genoux et ne me regardait pas. Salmus semblait vieilli, accablé, figé. Quant à Rutila, elle faisait les cent pas dans la pièce, de gauche à droite et de droite à gauche, avec son pantalon d’uniforme et sa chemise de nuit. Je les regardai en silence, l’un après l’autre, sans oser poser de question tant je craignais les réponses… Puis la capitaine s’immobilisa enfin, m’adressa un regard clair et droit, et prit la parole.


« - Bien ! Lumi, il s’est passé quelque chose d’étrange, cette nuit. Quelque chose dont Salmus et Tempetus sont venus me parler ce matin, dès leur retour à bord.
- Où est Orcinus ? Pourquoi n’est-il pas rentré avec vous ? Que s’est-il passé ?

- Réponds-lui, Salmus, demanda Rutila.

- Eh bien… bredouilla-t-il en rougissant. Hier en fin d’après-midi, Orcinus et Tempetus ont décidé d’aller en ville pour acheter du matériel : nous avons besoin de toile pour remplacer notre petit hunier qui commence à donner de sérieux signes de faiblesse. Il faisait beau, je n’avais rien d’autre à faire, alors je leur ai proposé de venir avec eux pour les aider à rapporter les rouleaux de lin jusqu’au navire.

- Et ? demandai-je d’une voix inquiète.

- Nous marchions tous les trois dans le vieux quartier d’Héliopolis, profitant de l’ombre des ruelles et du calme de l’après-midi. Il faisait très chaud, comme toujours dans ce pays. Au fur et à mesure que nous avancions, nous avons remarqué un petit groupe de femmes qui semblait nous suivre, ou du moins aller dans la même direction que nous, et qui nous regardait avec insistance… Nous ne nous sommes pas méfiés, et quand elles nous ont encerclés, mis à terre, ligotés et bâillonnés, nous n’avons même pas eu le temps d’opposer la moindre résistance.

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