Chapitre LXIX (2/2)
(Lumi) - Mais qui étaient-elles ?
(Salmus) - Des mercenaires héliopolas, d’après les conversations que nous avons entendues ensuite. Des femmes de poignard et de corde, payées par des hommes des contrées du Nord pour retrouver leur prince perdu, ou quelque chose comme ça.
- Oh…
- Elles nous ont conduits dans une pièce souterraine dans laquelle régnait une fraîcheur étonnante, et nous ont laissés entre les mains d’hommes que nous n’avions jamais vus. Ils ressemblaient à des Champarfaitois, avec leurs yeux verts et leurs cheveux blonds, mais ils avaient un accent rugueux, des gestes guerriers, des habits de drap blanc et de cuir sombre qui ne ressemblent guère à ce que portent tes compatriotes.
- Et ils cherchaient leur prince ?
- Oui. Nous leur avons dit qu’ils faisaient fausse route, que nous étions Lointains, que nous ne leur voulions aucun mal. Mais ils ne nous ont pas écoutés. Ils nous ont donné à manger, à boire, ils nous ont installés sur une banquette particulièrement confortable. Et ils ont attendu.
- Attendu quoi ?
- Vers deux heures du matin, alors que la nuit frissonnait au-dehors et que la lueur des bougies dansait sur les murs de pierre, ils se sont mis à observer Orcinus avec beaucoup plus d’insistance. Ils murmuraient entre eux, approchaient la chandelle, observaient encore… Et là, j’ai vu que les yeux d’Orcinus avaient changé de couleur. Ils n’étaient plus bleus comme la mer qui nous porte et nous nourrit, nous autres Lointains… Non, ils avaient la nuance de l’ocre, de l’ambre, de la terre sableuse et desséchée du désert. En voyant cela, j’ai sursauté, Tempetus a poussé un petit cri… Mais eux, ces hommes du Nord qui semblaient si forts, si invincibles, si insatiables, ils regardaient Orcinus avec de l’émotion plein les yeux… Nous n’avons pas eu le temps de lui parler, ni rien : ils nous ont attrapé par le bras et ils nous ont mis dehors sans un mot, Tempetus et moi. Nous avons mis trois heures à regagner le port à travers la ville, nous nous sommes trompés dix fois de chemin… Et enfin, nous voilà.
- Alors Orcinus est resté avec eux ?
- Il n’a guère eu le choix !
- Mais qui sont ces gens ? intervint Rutila.
- Je n’en ai aucune idée, répondit Salmus.
- Moi, j’ai peut-être une idée… murmurai-je. Tout à l’heure, je… Je suis allée au palais voir la princesse Sanaâ.
- Comment cela ? gronda la capitaine en fronçant les sourcils.
- Pardon, Rutila, je crois que je n’aurais pas dû… Et Orcinus me tuera certainement quand il le saura. Mais je voulais lui dire que son neveu était parmi nous.
- Alors c’est elle qui l’a fait enlever, à ton avis ?
- Non, je ne crois pas. Mais je lui ai parlé de ce bateau étrange… Celui qui nous suit depuis plusieurs semaines. Celui qui nous avait attaqués, il y a des années. Elle m’a expliqué que c’étaient des loyalistes de Champarfait qui avaient fui le pays il y a longtemps pour s’installer dans les contrées indépendantes du Nord, parce qu’ils ne reconnaissaient pas la légitimité de Rotu et de sa mère.
- …
- D’ailleurs, regardez ! Le voilier n’est plus dans l’avant-port ! Ils sont partis… Quoi qu’il en soit, ces hommes ont demandé à la princesse d’Héliopolis de les aider à retrouver leur roi légitime. Elle a refusé, mais visiblement, ils ne se sont pas découragés pour autant.
- Leur roi légitime ? s’étonna Tempetus.
- Oui… Orcinus.
- Orcinus est le roi légitime de Champarfait ? s’étrangla Tempetus.
- C’est une bien longue histoire… Mais c’est la vérité. Orcinus est le fils du prince Lomu, le frère aîné de Rotu, et de Hanaâ, princesse d’Héliopolis.
(Tempetus nous observait tour à tour avec d’immenses yeux de fou, sans oser dire un mot, mais avec dans le regard une infinité de questions silencieuses.)
- …
- …
- Qu’allons-nous faire ? murmurai-je. Nous ne pouvons pas abandonner Orcinus de cette façon.
- Ce n’est pas à nous d’en décider, répondit Salmus d’une voix grave. Si Rutila en est d’accord, je propose de réunir l’ensemble de la troupe, d’expliquer clairement et honnêtement la situation et d’organiser un vote.
- Excellente idée, approuva Rutila.
- Tempetus, reprit Salmus, je te charge de réunir tous nos compagnons dans le réfectoire, ce soir au coucher du soleil. Présence obligatoire pour tout le monde, sauf pour les enfants et les malades désignés par Milos. Ah ! Et prie la princesse Sanaâ de se joindre à nous, si cela lui est possible. D’ici là, silence absolu ! A tout à l’heure. »
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