Chapitre LXIX (2/2)

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(Salmus) Mes amis, nous tenons à vous préciser que pendant des années, Muraena a veillé farouchement sur son secret, et que personne n’a su la vérité ! Pas même Milos, qui partageait sa vie. Ni Orcinus, qui n’a appris la vérité, un peu par hasard d’ailleurs, que beaucoup plus récemment. Et qui, clairement, se serait bien passé de se découvrir une telle généalogie…


Hier soir, vous le savez, Tempetus, Orcinus et moi-même sommes sortis dans la vieille-ville pour acheter de la toile de lin. Et nous avons été capturés par une bande de femmes, des mercenaires, qui nous ont emmenés dans un endroit secret où elles nous ont remis entre les mains d’un groupe de loyalistes champarfaitois. C’est à eux qu’appartient ce voilier au comportement si étrange, qui ne nous quitte pas depuis des semaines ! Ces hommes cherchent leur prince… Qu’ils ont d’ailleurs failli tuer, sans même se douter que c’était lui, lorsqu’ils nous ont attaqués, il y a quelques années…


Mais revenons à Orcinus. Vous le savez, la légende affirme que le petit prince, celui qui a disparu, avait des yeux de la couleur de l’ambre… Une couleur très caractéristique, que l’on ne trouve ni à Champarfait, ni à Héliopolis, ni sur nos navires… Aussi Muraena, qui était guérisseuse comme bien des femmes du grand Sud, a-t-elle inventé un produit très étrange qui donne à Orcinus un regard parfaitement Lointain. Un produit qui fait effet entre deux et douze heures, selon la dose que l’on emploie, et qu’il utilise tous les jours depuis des années et des années.


C’est ce produit qui l’aura trahi. Hier, alors que nous étions captifs depuis quelques heures, ses yeux ont peu à peu retrouvé leur couleur naturelle, d’un brun clair, translucide, aux reflets d’or et de cuivre. Nos ravisseurs avaient enfin retrouvé leur prince… Ils nous ont libérés, Tempetus et moi, après nous avoir bandé les yeux. Mais ils ont gardé Orcinus. Et ils sont partis, leur voilier a quitté l’avant-port, probablement cette nuit, sans flambeaux, pour qu’on ne puisse pas le voir appareiller…


Voilà, mes amis, toute la vérité telle que nous la connaissons et telle que nous la comprenons à cet instant, Rutila et moi. Devons-nous poursuivre ce bateau sans pavillon tout autour des mers pour délivrer celui qui, même s’il n’a pas de sang Lointain, même si Muraena nous a menti à tous et à lui en premier, fait partie de cette troupe depuis son enfance ? Ou devons-nous le laisser vivre le destin qui l’attend quelque part loin d’ici, puisqu’il est issu de deux lignées royales plus prestigieuses l’une que l’autre ? C’est une décision que vos deux capitaines ne peuvent prendre qu’avec vous.


Lointains, Lointaines, nous voterons demain, après le petit-déjeuner. L’urne sera déposée, comme d’habitude, dans le réfectoire et le scrutin aura lieu sous la supervision d’Aurata, notre doyenne. Chacun de nous dispose d’une voix, à l’exception de Milos et de Lumi, du fait de leur proximité avec Orcinus et Muraena. Princesse Sanaâ, vous êtes invitée à partager la cabine de Rutila pour cette nuit si vous souhaitez assister à la proclamation des résultats. Maintenant, nous allons nous séparer et nous nous retrouverons ici même demain matin.


Je vous rappelle la question à laquelle vous devrez répondre en votre âme et conscience : souhaitez-vous que nous partions à la recherche d’Orcinus, ou plutôt de Lomu Hanaô selon le nom que lui avaient choisi ses parents… Oui ou non ? Merci de votre attention et bonne nuit à tous. »


J’avais blêmi sous la question, et Milos n’en menait pas plus large que moi. Mais la plus touchée semblait pourtant être la princesse Sanaâ, qui venait de perdre son neveu avant même de l’avoir retrouvé… Et qui restait là, exposée à tous les regards, élégante comme une enfant de sable au milieu de notre peuple des mers.


Puis le réfectoire se vida, presque par magie, presque en silence, tandis que chacun se repassait chaque mot, chaque geste, chaque intonation de Salmus. Et je me retrouvai seule avec le médecin du bord, fragile et abasourdi, qui tomba plutôt qu’il ne s’assit sur un banc de bois.


« - Que va-t-on faire, Milos ?

- Attendre…

- Et pendant ce temps-là, ces gens emmènent Orcinus à l’autre bout du monde ! Ou dans la crique voisine, va savoir…

- Cela m’inquiète autant que toi, Lumi. Mais nous ne pouvons rien faire sans l’accord de la troupe, Salmus et Rutila ont raison.

- Et si la troupe décide de l’abandonner à son sort, que va-t-il se passer ?

- Cela n’arrivera pas.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

- Je n’en suis pas sûr. Mais presque ! Tous, ils connaissent et ils aiment Orcinus. Ils l’ont vu grandir, apprendre, écrire. Orcinus est aussi Lointain qu’eux, si ce n’est plus… Ils ne l’oublieront pas. Et ils ne l’abandonneront pas. Ce n’est pas possible.

- Mais… Si cela arrivait quand même, que pourrions-nous faire ?

- Rien, Lumi. Nous ne pourrions rien faire. »

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