Chapitre LXX (1/2)

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Je passai évidemment une nuit épouvantable. J’étais restée dormir à l’infirmerie, autant pour tenir compagnie à Milos que pour ne pas rester en tête-à-tête avec l’absence d’Orcinus. J’étais inquiète pour lui, tournant et retournant dans mon esprit des dizaines de destinations inconnues et fantasmagoriques vers lesquelles ces rebelles champarfaitois avaient pu l’entraîner… Je l’imaginais tantôt à fond de cale, accroupi parmi les rats et les déchets, et tantôt attaché au grand mât, badigeonné de goudron et de plumes comme dans les livres de piraterie. Je mis des heures à trouver le sommeil, sentant peser sur mes épaules une solitude immense et une angoisse oppressante. Et lorsque je m’assoupis enfin, ce fut pour me réveiller en sursaut à trois ou quatre reprises, assaillie de visions d’horreur, avant que le matin n’apparaisse enfin.

Je restai un long moment allongée sur la paillasse, plongée dans le silence du petit jour. Le soleil empruntait doucement sa course ascendante, les cuisines exhalaient des odeurs de pain aux algues et de confiture de saumon, l’équipage quittait peu à peu les bateaux-lits pour revenir à bord du bateau-mère. J’entendais des murmures, des pas, quelques caresses du clapot sur la coque et quelques éclats de voix. J’avais dans la gorge une immense boule de feu, un ballotin de glace, tandis que mon cœur était à la fois tétanisé de froid et dévoré de fièvre.

Milos me houspilla gentiment et je finis par me lever, raide comme les marionnettes de bois et de métal que j’avais tant admirées à la foire de Champarfait lorsque j’étais enfant. Une partie de moi avait hâte d’en finir, hâte de savoir ce qui serait décidé, mais l’autre ne rêvait que de fuir devant l’obstacle et de se cacher quelque part, sous la terre ou dans le ciel, pour ne jamais connaître le résultat.

Je réussis cependant à mettre un pied devant l’autre et à aller m’attabler au réfectoire. Perkinsus, Alexandrius, Tempetus, Ventura et quelques autres vinrent s’installer près de moi, mais je percevais à peine leur présence. Tous mes sens étaient concentrés vers cette urne de bois, frappée du sceau officiel des Lointains, surveillée par Aurata et devant laquelle, l’un après l’autre, chacun se tenait debout pour glisser son bulletin dans la fente. J’avais l’impression que l’on n’en finirait jamais…

Mais heureusement, le dernier votant vit son tour arriver, le dépouillement eut lieu très rapidement, et enfin, Salmus proclama le résultat. A l’unanimité, les Lointains avaient choisi de prendre la mer pour localiser et récupérer mon amoureux. Réfugié ou natif, prince ou maître voilier, héritier ou anonyme, cela ne changeait pas grand-chose pour eux. Orcinus faisait partie de la troupe comme n’importe quelle autre personne, tous l’avaient vu grandir, et s’il s’avérait descendre de dynasties royales étrangères, il n’en était absolument pas responsable.

A peine notre capitaine eut-il fini de nous énoncer cette proclamation que je sentis les larmes me monter aux yeux, et tout mon corps se détendre comme on choque la grand-voile d’un bateau surtoilé. Cela ne réglait qu’une partie du problème, puisque nous ignorions dans quelle direction chercher, mais au moins, nous n’allions pas abandonner Orcinus à son triste sort sans essayer de le retrouver. C’était un bon début !

La princesse Sanaâ, qui était venue assister au scrutin comme elle y avait été conviée, semblait elle aussi en proie à une émotion très vive. Elle se leva, se plaça face à moi, drapée dans sa majesté malgré les sanglots qui tremblaient dans sa voix, et murmura tout bas pour que personne ne l’entende.

« - Lumi, je vais m’en aller maintenant, il est plus que temps que je retrouve mes devoirs et mon palais. Mais avant, j’aimerais que tu me promettes une chose.

- Laquelle, princesse ?

- Si Orcinus est vraiment en danger… Fais-moi prévenir.

- Je vous le jure.

- …

- En retour, puis-je moi aussi vous demander quelque chose ?

- Voyons cela.

- Eh bien… Je sais que vous haïssez Rotu, et vous avez mille fois raison ! Mais son peuple, mon peuple, n’y est absolument pour rien. Rotu a quitté Champarfait, il sillonne les mers afin de nous retrouver.

- Et alors ?

- Il serait inutile d’attaquer Champarfait alors que Rotu n’y est même pas. Et cela provoquerait la mort de milliers d’innocents.

- Très bien. Je n’assiégerai votre capitale que si Rotu revient s’y réfugier et si je n’ai pas d’autre choix. »

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