Chapitre LXX (2/2)

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Je remerciai Sanaâ d’un sourire et d’un regard, et elle sortit sans se retourner, escortée par Salmus et Anguillus qui semblaient l’un comme l’autre subjugués par son port altier et sa démarche de nymphe. Mais je n’eus guère le temps de reprendre mes esprits, de digérer tout ce qui venait de se passer, puisque Rutila vint me chercher, mi-injonctive, mi-empathique, pour me rappeler que j’étais cheffe de tiers et qu’à ce titre, je n’avais guère le loisir de me tourner les pouces alors que nous avions un appareillage à préparer et un jeune homme à retrouver.

Je bondis sur mes pieds, naturellement, trop heureuse de pouvoir occuper mon corps et mon esprit à une quête qui devait, peut-être, un jour, me permettre de retrouver la chaleur et le sourire d’Orcinus. Alors je me consacrai entièrement aux préparatifs, envoyant mes gabiers vérifier le rabantage des voiles, préparer le cabestan pour le relevage de l’ancre et porter des cagettes de vivres plus lourdes les unes que les autres.

Heureusement, pendant que je me lamentais aux côtés de Milos, la veille au soir, Rutila avait missionné Ventura et Anguillus pour faire le tour des bateaux du port et de l’avant-port pour voir si quelqu’un avait vu partir nos loyalistes pirates. Ainsi, elle sut rapidement qu’ils avaient mis le cap au Nord-Nord-Ouest, portant misaine, artimon et perroquets sous les assauts du vent. Elle ordonna donc de prendre la même direction, toutes voiles dehors, bravant la houle et la gîte pour tenter de gagner du terrain et de rejoindre, après quelques jours de mer, le bateau que nous poursuivions.

Elle connaissait son métier. Car après deux semaines de mer, alors que nous désespérions tous, moi la première, de voir apparaître à l’horizon la voile aurique et la carène affûtée de notre cible, Perkinsus s’écria depuis son poste de veille : « Voile en vue, à onze heures, capitaine ! » J’entendis son cri depuis le réfectoire où, n’étant pas de quart, je m’étais installée pour lire un peu. Je fis un bond, laissant tomber mon roman sans aucun ménagement, et je courus sur le pont, le cœur en travers de la gorge et l’espoir au bord des lèvres. Le bateau mystérieux était là, au loin, domptant les flots avec une fluidité magnifique, dans la lumière claire et douce de la fin d’après-midi.

Tempetus, qui était de quart, dirigea l’équipage avec son efficacité et sa discrétion habituelles, et petit à petit, nous gagnions du terrain. Je passai la nuit sur le pont, à tenter de vaincre les ténèbres pour deviner, à la sombre lueur des étoiles, la silhouette d’un mât, d’une vergue, d’une coque. Je ne voyais absolument rien, évidemment, mais à l’aube, l’autre bateau était toujours en vue et nous nous étions rapprochés de quelques milles.

Orcinus était là, tout près, et pourtant si loin, si lointain, si Lointain… J’avais envie de trépigner ou de me rouler par terre tant il me manquait, avec ses gestes doux, ses muscles fermes et son sourire à toute épreuve ! Mais cela n’eût rien changé. Alors je me contentai de souffrir en silence, pendant la journée, et de pleurer en cachette, pendant la nuit. Tous les jours, toutes les nuits, durant des semaines.

Il nous fallut trois mois, en tout, avant de réussir à nous approcher de notre cible. Car même si nous nous maintenions à quelques encablures du voilier, même si le vent nous apportait parfois les parfums de leur cuisine et les échos de leurs voix, nous ne pouvions aucunement les attaquer. D’abord, parce que nous n’avions aucune arme, aucun canon. Ensuite, parce qu’Orcinus était à leur bord et qu’en tentant une opération inconsidérée, nous risquions de le blesser…

C’est par un jour de pétole, alors que la mer était d’huile, que les voiles étaient inertes, que nous étions presque bord à bord avec les pirates, que Rutila réussit à échanger avec leur capitaine, à l’aide d’un porte-voix. Elle proposa, il refusa, elle confirma, il hésita, elle insista, il accepta. De discuter, bon, cela ne suffirait certainement pas à nous rendre notre équipier, mais c’était un bon début !

Aussi des aussières furent-elles lancées, de part et d’autre, pour mettre les deux bateaux à couple. Rutila, accompagnée de Salmus, Alexandrius et Tempetus, enjamba les deux bastingages pour rejoindre le bord ennemi. Le reste de la troupe se précipita au réfectoire pour se mettre à l’abri d’une petite pluie brûlante qui commençait à tomber. Et je restai seule sur le pont avec mes mauvais pressentiments.

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