Chapitre LXXII (1/2)

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J’avais l’impression d’être dans une petite bulle d’insouciance, perdue au milieu de la réalité, mais qui, inexorablement, finirait par éclater. Alors je profitais de chaque seconde avec Orcinus, de chaque centimètre de sa peau, de chaque souffle de ses lèvres. Je m’étais entièrement allongée sur lui, moitié pour sentir et ressentir la force et la douceur de son corps contre le mien, moitié pour l’empêcher de repartir…


Je pesais sur lui de tout mon poids, ma main se promenait sur ses épaules, dans son cou, sur ses joues. J’étais couverte de sueur, alanguie de plaisir, essorée d’émotions. Pendant quelques minutes, nous restâmes ainsi à écouter le silence de la mer et les craquements du navire, sa main caressait mes hanches, mes fesses, mon dos, avec une douceur de plume ou de velours.


Puis je repris mes esprits, je me tortillai un peu pour plonger mon regard dans le sien comme dans un puits de lave aux reflets d’or et de cuivre… Je déposai un baiser rapide sur ses lèvres et je murmurai dans la moiteur du soir.


« - Raconte-moi, maintenant, s’il te plaît.

- J’imagine que Tempetus et Alexandrius ont expliqué ce qui nous était arrivé à Héliopolis, quand nous sommes sortis pour acheter du lin ?

- Oui. Les mercenaires, l’endroit secret, tes yeux qui ont changé de couleurs, et vos ravisseurs qui les ont mis dehors, eux, mais qui t’ont gardé, toi.

- Voilà. C’est comme ça qu’ils ont su que celui qu’il cherchait, c’était moi… Ils m’ont tout de suite emmené dans une espèce de souterrain creusé dans la roche, éclairé par des flambeaux tenus par des gardes silencieux… Je n’étais pas très rassuré, mais heureusement, nous avons très vite rejoint le port. Là, dans la nuit, pendant que vous dormiez tous à quelques dizaines de mètres de moi, ils m’ont fait monter dans un canot pour m’emmener à bord de leur voilier. Ils m’ont installé dans une cabine et ils ont levé l’ancre immédiatement pour mettre le cap au nord.

- Est-ce qu’ils t’ont fait du mal ?

- Non… Ils me traitent comme un prince ! Puisqu'ils me voient comme leur roi légitime. J’ai trois serviteurs rien que pour moi, des habits plus élégants les uns que les autres, et deux pièces magnifiques qui me sont réservées, à côté de la cabine du capitaine, avec des bancs de velours, des rideaux de brocart et des draps de soie. Je peux aller et venir librement sur le bateau, à part ce soir où ils ont fermé ma porte à clé… Et ils me servent des repas délicieux, de vrais festins, trois fois par jour.

- Ah ? Je crois pourtant que tu as un peu maigri…

- Parce qu’ils proposent beaucoup de plats à base de viande… Alors bien souvent, je mange seulement des légumes et des céréales. Je rêve d’une brochette de crabe au lait de coco, si tu savais !

- Et moi qui donnerais cinq ans de ma vie pour un bon morceau de viande grillée ! La vie est mal faite… Tu en sais un peu plus sur leurs revendications ?

- Oui, elles sont très claires. Pour eux, je suis l’héritier du trône de Champarfait… Ils ont quitté le royaume il y a des années, quand le prince Lomu… Enfin, quand mon père est mort et que la régente s’est emparée du trône au nom de Rotu. Depuis, ils vivent en partie de piraterie, et en partie de l’exploitation des terres isolées du grand Nord, où ils se sont installés. C’est un immense désert de glace, apparemment, mais ils ont créé une petite ville, avec une forteresse, des maisons, des remparts, un port défendu par des dizaines de canons et des puits d’où jaillit un liquide noir et poisseux qu’ils revendent à prix d’or à des peuplades que même les Lointains de connaissent pas, au-delà de la carte.

- Mais qu’espèrent-ils ? Reconquérir le trône de Champarfait avec un seul navire, un village perdu dans les glaces et un prince qui ne veut même pas régner ?

- Je ne sais pas trop. Je crois qu’ils ne le savent pas eux-mêmes, d’ailleurs.

- Mais alors, pourquoi t’ont-ils enlevé ? Pourquoi maintenant ?

- Pour me protéger de Rotu… Depuis que nous avons joué la pièce, depuis que nous avons laissé entendre que le prince égaré était toujours vivant quelque part, eh bien ! Rotu le cherche. Il me cherche, Lumi, c’est pour ça qu’il a pris la mer.

- Oh…

- Alors ils m’ont capturé pour m’emmener justement dans leur village, tout là-haut dans les glaces, pour me mettre à l'abri.

- A l’abri, dans une prison !

- Oui. Mais ils ne me veulent pas de mal, Lumi. Pour eux, je suis leur roi. Leur chef. Leur espoir ! Tu imagines, toutes ces années pendant lesquelles ils m’ont cherché partout…

- Oui, bon, je comprends, mais moi, j’aimerais bien qu’ils me rendent mon amoureux ! Le reste, je t’avoue que ça ne m’intéresse pas beaucoup.

- Tu as tort, car j’ai gardé le plus cocasse pour la fin.

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