(Lumi) - Je sens que ça ne va pas me plaire…

(Orcinus) - Alors, je te l’ai dit, ils vivent dans une région où il gèle huit ou neuf mois dans l’année, et qui échappe au contrôle de Champarfait, dans le Nord. Entre les deux, c’est-à-dire entre Champarfait et le territoire de ces gens, il y une terre fertile et douce, où le climat est accueillant et tempéré et où les vignes s’épanouissent.

- Et alors ?

- Tu ne devines pas ?

- Je n’ai pas envie de jouer aux devinettes, Orcinus. Dis-moi ce que tu as à dire, s’il te plaît.

- Pour avoir une sorte de rempart entre leur village du Nord et Champarfait, ils se sont mis en tête de me marier.

- Quoi !?

- Oui. Avec l’héritière de cette terre viticole, justement.

- Orci, si tu épouses cette gourgandine, je t’étripe.

(Il me rit au nez comme si je venais de faire la blague la plus drôle du monde.)

- Vraiment, tu ne devines toujours pas ? Une terre frontalière de Champarfait, riche et fertile, dont l’héritière serait une demoiselle à marier, ça ne te rappelle rien ?

- Si. C’est sous ce prétexte-là qu’on m’a mise dans le lit et dans les griffes de Rotu.

- Exactement. Et donc ?

- Quoi ! Attends, ne me dis pas que c’est avec moi qu’ils veulent te marier ?

- Avec toi, non, puisque tu es officiellement décédée. Ni avec ta sœur Ruti qui a déjà un époux. Il reste donc la jeune Suni. Tu sais, celle qui me trouve si beau…

- Mais !? Ohlala, quel bazar… Bon, au moins, elle serait ravie !

- Cette jeune fille a du goût. Et elle est jolie, en plus. Elle te ressemble…

- Orci, tu n’envisages pas sérieusement d’épouser ma sœur ?

- …

- Eh ! Réponds-moi ! Tu es venu jusqu’ici en pleine nuit, tu m’as fait l’amour, pour m’annoncer que tu vas te marier avec ma propre sœur ?

- Mais non, voyons… Inutile de te mettre dans tous tes états ! Mais en tout cas, mes nouveaux amis loyalistes me l’ont proposé.

- Et qu’as-tu répondu ?

- Non. J’ai répondu non, Lumi.

(Je lui pinçai la peau du ventre sans trop de ménagement pour me venger des deux minutes atroces qu’il venait de me faire vivre.)

- Tu as intérêt à continuer à répondre non ! Quelle situation affreuse…

- Oui, mais tu aurais dû voir ta tête !

- Pfff…

- …

- Dis donc…

- Oui ?

- Tu ne crois pas qu’on devrait leur dire que je ne suis pas morte, et se marier, toi et moi ? Comme ça les terres du Nord ne reviendraient jamais à la couronne de Champarfait et tout le monde serait content.

- Tout le monde serait content ?

- Oui.

- C’est une demande en mariage, Lumi ?

- Franchement, non. Je n’y tiens pas plus que ça. Enfin, je t’aime, Orcinus, tu le sais, hein ? Mais je n’ai pas très envie de signer de nouveau ce papier qui a failli être mon arrêt de mort, à une époque. En plus, selon les lois de Champarfait, je suis toujours la femme de Rotu.

(Il grimaça, comme toujours lorsqu’il m’arrivait de lui rappeler ce fait.)

- …

- Et toi, Orcinus, tu veux te marier ?

- Ça m’est un peu égal, en fait… Chez les Lointains, la plupart des couples se marient, mais d’autres ne le font pas, et ça ne change rien. Et puis, même si je t’épouse, ça ne règlera pas le problème de fond. Ils veulent me voir sur le trône, et moi, je n’ai pas envie de m’enfermer dans une maison, fusse-t-elle un palais ! Ces gens veulent un roi, et peut-être une reine. Et je crois que nous ne sommes clairement pas faits pour cela. Ni toi, ni moi. »

Je me lovai encore plus fort contre sa peau, avide de sa présence, de son odeur, de sa respiration… Je lui glissai à l’oreille, d’un ton faussement menaçant, qu’il n’avait vraiment pas intérêt à épouser ma petite sœur. Alors il me sourit en grand et me répondit : « Moi aussi, Lumi, je t’aime. »