Chapitre LXXIII (2/2)

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Ensuite, je perdis peu à peu conscience pour sombrer dans le sommeil. Je me sentais si bien, roulée dans la chaleur de son étreinte, comblée du plaisir donné et reçu, lovée dans le creux sécurisant de notre paillasse… Je m’assoupis sans un mot, et je dormis comme je ne l’avais pas fait depuis des semaines ! Comme je ne l’avais pas fait depuis qu’Orcinus avait été enlevé. Je fis donc des rêves magnifiques, peuplés d’un corps ferme et de beaux yeux d’ambre… Mais à mon réveil, le lendemain matin, mon compagnon s’était volatilisé et j’étais toute seule dans la voilerie abandonnée.

Je faillis hurler de dépit, car les quelques heures de retrouvailles que nous venions de partager ne faisaient que réveiller ce manque auquel j’avais presque fini par m’habituer mais qui, ce matin-là, suintait par tous les pores de ma peau. Car rien n’indiquait que je le reverrais un jour.

Pendant la journée, j’eus l’impression étrange d’être à-côté de moi-même. J’étais à la fois euphorique et abattue, et mes compagnons me lançaient parfois des regards étonnés. D’une part, je me sentais à la fois éblouie et reposée par ma nuit avec Orcinus : même si je n’avais pas beaucoup dormi, sa seule présence avait suffi à me redonner de l’énergie ! D’autre part, j’étais angoissée au-delà des mots de devoir le laisser repartir avec ses ravisseurs, sans trop savoir ce qu’ils allaient faire de lui…

En revanche, plus les discussions se prolongeaient au fil de la journée, et plus je laissais échapper des sourires idiots. Car j’espérais retrouver mon amoureux au creux de ma paillasse à la faveur de la nuit ! Milos, Perkinsus, Ventura et tous les autres n’avaient qu’une hâte : que l’on en finisse avec les pourparlers. Quant à moi, je tempérais, je patientais, disant qu’il n’était jamais bon de précipiter les choses… C’était assez absurde et j’en avais pleinement conscience : non seulement mes amis me prenaient pour une folle ou une indifférente, mais en plus, je savais bien qu’une autre étreinte, une autre nuit, ne règlerait strictement rien. Pourtant, je me disais que ce serait toujours ça de gagné sur la marche du destin.

La vie ou le hasard m’accorda finalement ce petit répit : deux heures après le coucher du soleil, alors que tout le monde commençait à rejoindre sa paillasse ou son bateau-lit tandis que les tours de garde s’organisaient en silence sur le bateau voisin, la conférence durait toujours. C’est donc le cœur plein d’espoir et le corps plein d’appétit que je rejoignis la voilerie, avec un livre et une chandelle, les oreilles aux aguets et les mains impatientes.

Plus tard, alors que la nuit était profonde, mystérieuse, immobile, il me sembla entendre un craquement dans la pièce voisine. Puis la porte s’ouvrit et Orcinus apparut, gestes souples et sourire filou comme un enfant préparant une bêtise. Il entra sur la pointe des pieds et s’avança vers la paillasse sans dire un mot, son regard vrillé au mien.

Il portait un costume bleu vif qui faisait ressortir son teint mat dans les lueurs orangées des bougies. Le col était brodé d’argent, les boutons étaient ronds et chics et le tissu semblait aussi doux que du velours. Manifestement, si le tailleur de ces pirates avait fait ses gammes dans les meilleures échoppes de mode de Champarfait, il osait s’affranchir de tous les codes et traditions pour créer des habits uniques et particulièrement seyants !

Orcinus se pencha vers moi pour m’embrasser, ses doigts se nouant aux miens. Ses yeux brillaient comme deux gouttes de soleil couchant, il était d’une beauté presque irréelle et je ne manquai pas de lui dire que ses nouveaux amis, malgré leur fascination assez regrettable pour son illustre généalogie, avaient manifestement bon goût en matière de vêtements. Il me sourit, s’assit sur la paillasse tout habillé, et je posai ma joue sur son épaule en poussant un soupir aussi profond que tous les océans du grand Nord.

« Ça va, Lumi ?

- Oui… Maintenant que tu es là. Même si j’ai l’impression d’être en sursis ou quelque chose comme ça, c’est un peu étrange.

- Je t’ai apporté quelque chose qui devrait te requinquer un peu…

(Il attrapa un petit sac qu’il portait en bandoulière et, muni d’un air de conspirateur, il en sortit un paquet noir en forme de bol ou de coupelle.)

- Oh ! Tu m’as apporté de la viande ?

- Bœuf grillé aux herbes et aux tomates séchées. Madame est servie.

- C’est adorable, merci ! D’ailleurs, moi aussi j’ai pensé à toi. Tout à l’heure, pendant le dîner, j’ai fait semblant d’avoir une faim de loup… Et j’ai emporté deux brochettes de crabe et d’espadon aux algues, avec de la soupe de crevettes au lait de coco. Tiens, sers-toi.

(Pendant cinq minutes, nous nous régalâmes avec entrain, les yeux dans les yeux, sans avoir besoin d’échanger le moindre mot, tant nous avions conscience de l’urgence de la situation.)

- Il faudra tenir le coup, Lumi. Tu me le promets ?

- Non… Mais je te promets d’essayer.

- Je suis désolé, tu sais.

- Tu n’y es pour rien, Orci.

- Je sais. Mais en attendant, te voilà embarquée dans des histoires d’enlèvement, de parents cachés, de fausse identité et de trônes perdus… Finalement, c’est une chance que tu aies été éduquée à grands coups de légendes merveilleuses et de littérature héroïque ! Cela me laisse une petite chance que tu ne me quittes pas.

- Je n’ai pas envie de te quitter. D’ailleurs, je n’ai aucune intention de te laisser repartir. »

Il ne se laissa pourtant pas attendrir. Il me tint longtemps serrée contre lui, me berça dans ses bras, me fit l’amour, m’embrassa tout en douceur… Puis il repartit, seul, vers l’inconnu.

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