Chapitre LXXIV (2/2)

3 minutes de lecture

Nous n’avions cependant pas d’autre choix que d’apprendre à survivre dans ce nouvel environnement… Et je fis ma part, non pas comme chasseresse, fort heureusement, mais comme pêcheuse sur glace, avec Milos, Ventura et quelques autres : en effet, un de mes petits élèves avait découvert, tout-à-fait à son corps défendant car il avait failli y laisser la vie en tombant dans une eau presque gelée, que sous une couche de neige moins solide qu’elle n’en avait l’air se cachait un bassin d’eau douce qui fourmillait de poissons… Il suffisait d’un bon appât, d’un seau et d’un peu de patience envers et contre les frimas pour apporter au maître-coq de quoi sustenter une bonne partie de l’équipage.

Petit à petit, nous réussîmes à nous vêtir correctement et à organiser notre approvisionnement de façon suffisante. Nous n’avions guère le choix, puisque l’hiver ne faisait que se renforcer jour après jour, au point d’emprisonner peu à peu la coque du voilier. Il serait bientôt possible de rejoindre la terre à pied, en marchant sur cette banquise d’un blanc éclatant qui était désormais notre compagne du quotidien. Le désert d’Héliopolis et les prairies verdoyantes de Champarfait ne m’avaient jamais paru aussi loin…

Quant à mon amoureux, nous n’en avions aucune nouvelle. Nous n’avions vu aucun navire quitter le port des loyalistes, aussi pensions-nous qu’Orcinus était toujours là, dans la forteresse, presque à portée de voix… Mais nous ne l’avions jamais vu, pas même de loin, et tout cela n’était qu’une simple supposition à laquelle je m’accrochais tous les matins pour trouver la force de sourire et de quitter mon lit.

Au début, Rutila et Salmus semblaient très inquiets à l’idée de rester là pendant des mois, juste en face du quartier général de nos “ennemis”, dans un pays que nul ne connaissait et dont le climat était pour le moins hostile. Mais peu à peu, ils reprirent confiance : visiblement, dès lors que leur prince-otage était à l’intérieur de leurs remparts, ces drôles de pirates n’avaient pas l’intention de nous attaquer.

Ils nous laissèrent effectivement en paix, libres d’explorer cette contrée inhospitalière qui semblait avalée par les glaces, mais dans laquelle se nichaient quelques traces de vie. Perkinsus, lassé de vivre presque enfermé sur un navire immobile, entreprit peu à peu de visiter les environs, secondé par Tempetus et moi-même. Moitié pour nous occuper, moitié pour veiller les uns sur les autres, c’est donc ensemble que nous découvrîmes une civilisation très isolée, recluse dans des huttes à la fragilité déconcertante, qui se chauffait à la graisse de phoque et dont l’alimentation principale était la viande d’ours et de baleine, mais qui conservait la langue et les traditions champarfaitoises.

Derrière la forteresse, quelques groupes isolés, qui ressemblaient plus à des rassemblements familiaux qu’à des tribus, semblaient attendre la fin de l’hiver pour vaquer à de mystérieuses occupations. Tandis que juste en face de notre navire, à quelques milles à peine, il y avait trois ou quatre petites îles battues par les vents, où aucune végétation ne semblait pousser, et dont les roches noires et aiguisées tranchaient fortement avec la blancheur infinie de la banquise.

A une ou deux reprises, nous essayâmes de lier conversation avec des autochtones croisés sur notre chemin. Ils n’étaient aucunement agressifs et ils parlaient ma propre langue maternelle. Mais la discussion restait assez difficile, car ces hommes et ces femmes semblaient être restés complètement à l’écart du reste du monde pendant des décennies.

Nous pûmes cependant en apprendre plus sur leur Histoire...  Ces rebelles champarfaitois avaient fui leur patrie plusieurs décennies auparavant, lorsque la régente avait placé Rotu sur le trône, en lieu et place de son frère aîné Lomu, le père d’Orcinus, héritier légitime. Depuis, ils avaient vécu en autarcie complète, dans des contrées hostiles où personne ne venait les déranger ! La mort tragique du prince Lomu, quelques années plus tard, n’avait fait que renforcer la haine viscérale que ces pirates exilés vouaient à Champarfait.

Depuis, ils s’étaient retranchés dans cette terre glacée du grand Nord où personne n’était jamais venu les chercher, laissant à leur seul et unique équipage, composé de cinquante hommes formés sur le vif, le soin de parcourir le monde sur ce bateau à voile aurique que nous ne connaissions que trop bien désormais, afin de retrouver le petit prince disparu de la légende. Selon eux, et depuis toujours, sa mort dans le naufrage de ses parents n’était qu’un mensonge destiné à maintenir Rotu sur le trône. Et j’étais bien placée pour savoir qu’ils avaient raison, et qu’Orcinus était bien vivant. Mais pour combien de temps ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0