Chapitre LXXVI (1/2)

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Était-ce une vue de l’esprit ou une volonté de mon propre corps d’affirmer la réalité de cet enfant qui s’était invité dans mon ventre ? A peine Milos était-il sorti de la pièce, me laissant seule face à moi-même, que j’eus l’impression que ma silhouette avait doublé de volume. Je me sentais enflée, envahie, étouffée par ce tout petit habitant qui prenait tout mon être pour sa future planète et qui pourtant, était encore totalement indétectable.


L’idée de devenir mère de cette façon, dans cette contrée, sous ce climat, sans envie ni préavis, sans choix ni papa, m’était presque intolérable. Pour autant, j’avais bien du mal à imaginer de recourir à la médecine des Asclépios pour faire purement et simplement disparaître cette petite graine qui était l’enfant d’Orcinus. A l’heure où je n’étais même pas sûre de le revoir un jour, pouvais-je vraiment ne pas conserver ce souvenir, encombrant mais indélébile, qu’il m’avait laissé sans le vouloir ?


Je passai deux jours à ruminer ainsi, restant confinée dans la voilerie pour éviter les parties de chasse autant que de cartes. J’avais l’impression que rien ne pourrait me consoler, me rassurer, me guider, et que ma vie désormais, n’aurait plus jamais de sens… Je me contentais de faire de brèves incursions au réfectoire pour prendre un morceau de gâteau de poisson, évitant soigneusement les heures auxquelles je risquais de croiser du monde.


Le troisième soir, alors que la nuit était tombée depuis longtemps et que je me glissais à pas de loup de mer dans la quasi-obscurité de la cambuse pour trouver de quoi me sustenter, je tombai nez-à-nez avec Perkinsus, oeil de faon et fin sourire, qui m’attendait à la lueur vacillante d’une chandelle. Je sursautai, évidemment, mais son regard était si inquiet, si attentif, que je n’eus pas le cœur de l’ignorer.


« - Perkinsus ! Tu m’as fait peur… Que fais-tu ici à cette heure ? Tu guettes donc les jeunes filles à la tombée de la nuit ?

- Pas toutes, non… Mais toi, puisque tu restes enfermée dans ta tanière, je suis bien obligé de te guetter un peu ! La veille, c’est mon métier, ne l’oublie pas.

- …

- Que t’arrive-t-il, Lumi ?

- Tu veux dire, à part le fait que mon chéri a été enlevé par des pirates, que nous sommes coincés pour des mois et des mois dans ce territoire glacial et que la guerre plane partout sur le continent ?

- A part tout ça, oui. Voilà deux jours que tu ne veux voir personne. Il y a forcément une raison.

- Je réfléchis, c’est tout.

- Si tu le dis…

- Et toi, Perkinsus, comment vas-tu ?

- Je vais très bien.

- Tu continues tes expéditions en terrain hostile ?

- Oui… D’autant que les autochtones ne sont pas tous inaccessibles.

(Il rosit, au point de m’en faire oublier mes propres tourments et incertitudes.)

- Comment cela ?

- Eh bien, contrairement à d’autres, je n’ai pas décidé de vivre à fond de cale, figure-toi.

- Et ?

- Et l’autre jour, en pleine opération de pêche sur glace, j’ai croisé la route d’un garde du palais.

- Et ?

- Et nous avons discuté.

- Et ?

- Et il est plutôt charmant, avec ses grands yeux verts comme une forêt de pins et ses cheveux qui flamboient au soleil. Du moins, quand il y a du soleil dans ce maudit pays !

- Non ! Tu ne vas quand même pas tomber amoureux de l’un de ces pirates au sang de glace ?

- Peut-être qu’ils ont le sang chaud, qui sait ?

- Perkinsus, sois un peu sérieux deux minutes.

- Mais je suis sérieux !

- Tu t’es donc entiché de lui ?

- N’exagérons rien… Mais j’ai des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et ce que je vois, ce que j’entands, eh bien ! Il se trouve que c’est plaisant. Un pirate, tu imagines ? Comme dans les contes… Il ne peut être que loyal et chevaleresque, ce garçon. Même si dans les livres, aucun preux chevalier ne tombe jamais amoureux d’un marin barbu !

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