Chapitre LXXVII (1/2)

3 minutes de lecture

A l’heure dite, Perkinsus, Tempetus, nos airs de conspirateurs et moi-même nous retrouvâmes comme convenu. Tempetus était renfrogné et réprobateur, disant que s’il ne nous dénonçait pas, c’était uniquement par égard envers notre indéfectible amitié et que s’il nous accompagnait, ce n’était que pour nous éviter de faire des bêtises. Perkinsus était fébrile et impatient comme tous les amoureux du monde, même si le tête-à-tête qu’il espérait serait peut-être un peu moins romantique que prévu du fait de notre présence. Quant à moi, j’étais à la fois fonceuse et terrorisée, comme si le fait de prendre quelques risques, de nous faufiler dans la nuit comme des voleurs, me faisait de nouveau sentir un peu vivante ! Je n’eus pas une seconde l’impression de mettre en danger ce bébé que je portais en moi à mon corps défendant. La suite me prouva que j’avais tort…

Au début, tout se passa pour le mieux. Nous quittâmes le bord sans nous faire remarquer, marchant les uns derrière les autres sur la banquise immaculée qui brillait sous les éclats de la lune comme une armada de plancton phosphorescent. Il faisait froid mais sec, nos respirations créaient des petits nuages de buée qui rythmaient chacun de nos pas. Autour de nous, tout était silencieux, seules les étoiles semblaient vibrer d’une musique inaccessible aux oreilles des Hommes perdus dans ces contrées endormies.

Une fois sur la rive, nous progressâmes un peu plus lentement, cachés par l’ombre des pierres noires et affûtées qui se dressaient tout autour de nous, entre les congères de glace. La neige étouffait tous les sons, c’est à peine si nous percevions les frissons des pins et les mouvements des animaux nocturnes qui se faufilaient entre les branches ou les racines. J’étais assez inquiète à l’idée de croiser un ours, mais la vue de Tempetus, avec son couteau de marin en os de baleine et son air décidé, me rassurait à peu près.

Nous arrivâmes aux abords immédiats de la forteresse aux heures les plus sombres de la nuit. Le silence n’était troublé que par le bruit des vagues qui léchaient les falaises sur lesquelles était construit ce bâtiment à l’allure mi-féerique, mi-fantomatique. Nous longeâmes les remparts jusqu’à atteindre un chemin de terre qui se dirigeait droit vers le pont-levis enjambant des douves pétrifiées de froid. Tout autour de nous, les pierres étaient noires comme la nuit, le ciel était d’encre et la neige émettait des reflets presque fluorescents. C’était d’une beauté évidente, audacieuse, mais hostile.

Après quelques mètres, Perkinsus nous fit signe de nous arrêter. Il émit un son strident, une sorte de croassement sonore auquel répondit, quelque part dans les ténèbres, un cri presque identique. Puis il nous demanda de patienter là, tandis qu’il s’avançait, seul, vers ce qui ressemblait à une trouée pleine de vide. Pendant près d’une heure, Tempetus et moi attendîmes ainsi sans bouger, au royaume du froid et de l’ombre, à la fois engourdis par le gel et exaltés par l’impatience.

Lorsque les premières lueurs de l’aube commencèrent à souligner quelques contours, à dorer quelques reliefs, Perkinsus n’était pas réapparu et nous étions franchement agacés. Combien de temps allait-il ainsi nous laisser mariner, uniquement pour le plaisir de contempler les beaux yeux de son garde, aussi charmant soit-il ? Lassés, nous décidâmes de partir à sa rencontre : le jour n’allait pas tarder à se lever et il était grand temps pour nous de regagner notre bateau. Quant à moi, je n’en pouvais plus d’attendre des nouvelles de mon amoureux.

Mais Tempetus et moi fûmes bien mal inspirés de quitter ainsi le couvert de la forêt de pins… A peine avions-nous fait quelques mètres qu’une puissante détonation fit trembler les murs et le ciel. Je vis alors mon compagnon de guet s’effondrer juste devant moi comme une vague s’écrasant sur la côte. Il tomba sans un cri, sans un bruit, me laissant seule et hébétée. J’eus le réflexe de m’accroupir derrière une pierre et de rester là, sans trop savoir ce qui venait de se passer.

Quelques minutes plus tard, je risquai un œil par-dessus mon rocher-refuge. Je vis le corps allongé et inerte de Tempetus, face contre terre, dans une posture toute désarticulée qui ne laissait guère de doute quant à ses chances d’être toujours en vie. Et là-haut, sur les remparts, j’aperçus un groupe d’hommes armés, vêtus de cuir sombre, qui semblaient guetter la moindre trace de vie tout autour de moi… Je me mis à trembler, luttant de toutes mes forces contre l’envie de hurler ou de fondre en larmes, même si j’avais conscience que cela ne ferait qu’aggraver mon cas.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0