Chapitre LXXVIII (1/2)

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Je dormis comme une souche, assommée par mes émotions autant que par le léger sédatif que Milos m’avait administré. A mon réveil, quelque chose au fond de moi espérait encore que tout cela n’était qu’un mauvais rêve, que Perkinsus n’allait pas tarder à m’inviter à une partie de cartes avec son entrain habituel et que Tempetus, armé de son sourire timide et de sa connaissance de la mer, continuerait encore longtemps à guider mes pas et mes décisions lorsque je serais de quart.

Mais j’avais tort, et à peine avais-je ouvert les yeux que la réalité explosa dans mon estomac comme des milliers de boulets de canon. Je me sentis déchirée, abandonnée, et infiniment coupable de ce qui s’était passé la veille. Pourquoi avions-nous tenté cette expédition fatale, sans prévenir personne ? Pour les yeux doux d’un étranger ? Ou pour ceux d’Orcinus ? Dans les deux cas, cela ne pesait pas bien lourd face à la mort de Tempetus. Nous avions perdu notre éternel camarade tandis que tout l’équipage se trouvait privé d’un second capitaine attentif, expérimenté et compétent.

Je passai un bon quart d’heure à sangloter dans les bras compatissants de Milos, qui me berçait presque comme un petit enfant en respectant ma détresse et mon silence. J’appréhendais plus que tout de me trouver face à Rutila et à Salmus, aussi ne rêvais-je que d’une chose : me rouler en boule sur une paillasse pour ne plus jamais me réveiller.

Anguillus, avec son visage juvénile et ses grands yeux humides, vint prévenir le médecin qu’il était attendu sur le pont. Puis il murmura sans me regarder : « Je crois que tu devrais monter aussi, Lumi, si tu le peux. » Je m’exécutai donc, morte de honte et de fatigue.

Devant la coupée se trouvaient les deux capitaines et un homme vêtu de noir, qui s’exprimait dans ce champarfaitois d’un autre âge qu’employaient les loyalistes. Derrière eux, un peu plus loin sur la banquise, patientaient six hommes sombres et élégants autour d’une sorte de boîte rectangulaire.

« - Lointains, nous sommes venus vous rapporter le corps de votre compatriote, qui est tombé hier au pied de notre forteresse alors qu’il tentait d’espionner nos troupes. Nous sommes envoyés par notre prince, Lomu fils de Lomu…

- Comment ? C’est Orcinus qui vous envoie ?

- … Que vous appelez Orcinus, en effet.

- Comment va-t-il ?

- Eh bien, il est mort. Il ne souffre plus.

- Je ne parle pas de mon second capitaine, dont la perte nous a été annoncée hier et dont le décès m’attriste infiniment… Je parle d’Orcinus.

- Le prince Lomu se porte bien. Il a eu tort de protéger vos hommes hier soir, aussi le conseil s’est-il réuni à son sujet ce matin.

- Et ? Allez-vous le punir d’avoir voulu protéger le peuple qui l’a vu grandir ?

- Non. Mais désormais, il sera enfermé dans une aile du château. Il pourra voir la mer depuis une fenêtre grillagée et se promener dans une petite cour.

- C’est un marin. Entre quatre murs, il va devenir fou.

- Il nous a suppliés de vous restituer la dépouille de votre compagnon. Maintenant que nous vous l’avons rapportée, le reste ne vous regarde pas. Au revoir. Et à l’avenir, dites à vos hommes de rester à l’écart de notre forteresse. Sinon, les représailles seront terribles ! »

Rutila rougit, Salmus pâlit, mais aucun d’eux ne répondit. Et lorsque nos visiteurs eurent disparu à la lisière de la forêt, drapés de neige et de mystère, nous nous précipitâmes vers cette boîte macabre dans laquelle, en effet, reposait Tempetus. Nous le portâmes en douceur jusqu’au cabinet médical. J’avais les yeux pleins d’eau et le coeur baigné de larmes amères, je me sentais faible et inutile, et je m’effondrai à l’infirmerie, dans les bras exsangues de Perkinsus toujours allongé, tandis que Milos procédait à la toilette mortuaire de notre meilleur compagnon.

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