(Rutila) - Accepterais-tu une lieutenance, Lumi ?

(Lumi) - Mais… Es-tu sûre que ce soit une bonne idée ?

- Sûre et certaine, oui. Tu as bâti une relation solide avec ton tiers, et avec l’ensemble de l’équipage. Ils te respectent, ils t’écoutent et si besoin, ils te guident. Tu connais le bateau par coeur, depuis la quille jusqu’aux mâts, grâce à ta fréquentation assidue de certain maître-voilier qui ne cesse d’escalader vergues et haubans pour un oui ou pour un non ! Les points de tournage n’ont plus de secret pour toi, tu parles Lointain aussi bien que nous, tu sais lire une carte… Et l’autre fois, quand tu as coordonné l’équipage pour virer vent debout, tu n’as pas commis une seule erreur. Tu seras parfaite, Lumi.

- …

- Acceptes-tu ?

- Oui. Je ne suis pas sûre d’être prête, mais je te fais confiance pour en juger. Et puis, ça m’occupera l’esprit !

- Parfait. Félicitations à notre nouvelle lieutenante ! Ta première responsabilité sera de choisir ton chef de tiers, qui te remplacera dans tes missions précédentes.

- Eh bien… Il faut quelqu’un de posé, de calme, capable d’écouter et de s’imposer quand il le faut… Que dirais-tu d’Anguillus ? Il est jeune, mais il est fiable, efficace, habile de son corps et bon meneur d’hommes.

- Anguillus est discret et loyal. Comme Tempetus… C’est une excellente idée ! Je te laisse le lui annoncer, s’il te plaît.

- Je m’en occupe. Est-ce tout ?

- Non. Puisque te voilà officier, j'aimerais connaître ton avis sur notre prochaine destination. Faut-il aller chercher de l’aide à Héliopolis, selon toi ?

- Je ne sais pas… La princesse est la tante d’Orcinus, elle enverrait certainement son armée pour le protéger, pour le libérer. Mais si nous y allons, si Héliopolis entre officiellement dans le conflit, alors ce sera la fin définitive de notre neutralité.

- C’est exactement ce qui me retient. Pour l’instant, les Lointains ne font que protéger deux de leurs réfugiés : Orcinus et toi. A ce titre, personne ne peut rien nous reprocher, nous respectons notre loi. Mais si nous demandons l’assistance d’Héliopolis, nous risquons une déclaration de guerre officielle de Champarfait.

- …

- Selon toi, que voudrait Orcinus ?

- Tout sauf la guerre, je crois.

- C’est aussi mon avis. Pour l’instant, nous allons donc longer la côte vers le Sud, sans accoster sur les terres de Champarfait. Mais au moins, nous retrouverons des températures décentes ! Je n’en peux plus de ce climat… Et en l’absence de Rotu, je crois que ton pays natal n’est pas une menace pour nous.

- Je suis d’accord. Mais tu n’as pas peur qu’il nous trouve, justement ?

- Si… Mais pas plus à Champarfait qu’ailleurs. Si nous devons nous faire attaquer, autant que ce soit près des côtes. Traverser le détroit me semble vraiment hasardeux, ces temps-ci. Dès lors que nous n’avons pas besoin d’aller voir la princesse Sanaâ, je préfère ne pas prendre ce risque et rester aux alentours des terres habitées. Restons donc de ce côté. Nous trouverons bien, à un moment ou à un autre, une idée pour sauver notre prince charmant des griffes de ces étranges rebelles.

- Rutila…

- Oui ?

- Ne serait-il pas plus simple pour toi de me débarquer quelque part, et de continuer ton chemin tranquillement avec toute la troupe, mais sans Orcinus et moi ? Tous ces ennuis, c’est à cause de nous, finalement…

- Tous ces ennuis sont liés à la naissance d’Orcinus, qu’il n’a pas choisie, et à la violence de ton mari, que tu n’as pas choisi non plus. Pourquoi devrait-on vous abandonner à un sort dont vous n’êtes pas responsables ? Vous faites partie de notre peuple et de notre équipage, l’un comme l’autre. Si je vous laissais ainsi derrière nous, je serais indigne d’être capitaine ! Indigne d’être Lointaine.

- …

- As-tu d’autres questions bêtes à me poser ?

- Euh, non. Merci, Rutila. Merci pour tout.

- Bien ! Alors va donc faire ton travail d’officier et préparer l’appareillage. Salmus a monté une petite équipe pour forer la glace à coups de hache et nous ouvrir la voie. Dans un jour ou deux, nous aurons quitté cet affreux pays… Il faut préparer les voiles, tracer notre itinéraire, ranger le pont, organiser les quarts… Exécution, lieutenant !

- A tes ordres, capitaine ! »