Chapitre LXXX (1/2)

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La journée ressembla à un marathon de préparatifs, au milieu desquels je tentai tant bien que mal de trouver ma place et de jouer mon nouveau rôle d’officier. J’étais un peu intimidée, un peu hésitante, mais la nouvelle fut accueillie avec une vraie bienveillance par le reste de l’équipage, ce qui me facilita grandement la tâche !

Anguillus, mon jeune chef de tiers, avait ouvert des yeux ronds comme deux étoiles de mer lorsque je lui avais annoncé sa promotion. Fidèle à sa nature discrète et réfléchie, il avait profondément pesé le pour et le contre, m’inondant de questions sur son nouveau rôle et demandant un délai de deux heures pour me donner sa réponse… Réponse qui, à mon grand soulagement, fut positive. J’en étais ravie, parce que je le savais digne de confiance et très efficace lors des manœuvres.

Même si pour l’instant, il avait évidemment beaucoup à apprendre ! Et je fis de mon mieux pour le guider, lui expliquer ses responsabilités, lui exprimer mes attentes et mes limites. Je fus très certainement maladroite, imprécise, insistante, mais il ne m’en garda pas rigueur et lorsque la nuit commença à tomber sur la banquise, il était épuisé à force de se concentrer pour retenir l’avalanche de consignes et d’informations que je lui avais transmises.

Et je ne valais guère mieux… Aussi, à peine mon dîner terminé, partis-je m’aérer un peu sur le pont, bien décidée à aller me coucher dès que j’aurais avalé ma tisane aux algues. En attendant, mes pensées se laissaient porter par les lueurs roses et violettes du couchant qui arrosait la banquise, faisant briller de mille feux les cristaux de glace et glissant sur les pierres noires et affûtées comme autant de perles d’argent. Au moins, si Orcinus était condamné à rester seul dans ce pays, loin de mon amour et, accessoirement, loin de son enfant qui se cachait dans la chaleur de mon ventre, pourrait-il nourrir son regard et son imaginaire de ces images féériques qui changeaient tous les soirs…

Un peu plus loin, sous la proue du navire, Salmus et quelques autres s’employaient à briser la glace à grands coups de hache. Les sons et les vibrations transperçaient le cristal de l’air et le bois de la coque pour venir désagréablement me chatouiller les oreilles, et je me demandais bien comment nous allions pouvoir dormir, les uns et les autres, au milieu d’un tel vacarme…

J’en étais là de mes réflexions, gardant les yeux fixés sur la silhouette de la forteresse et mes peines profondément ancrées dans mon cœur, lorsque je sentis une main douce, amicale et puissante se poser sur mon épaule : c’était Perkinsus, sourire en coin et regard triste.

« - Eh bien, Lumi, tu rêves au son des pics à glace ?

- Presque !

- …

- Il me manque, Perkinsus… Enfin, ils me manquent tous les deux.

- A moi aussi, ma belle. Même si évidemment, je ne suis pas aussi proche que toi d’Orcinus. Mais c’est un bon compagnon, toujours prêt à donner un coup de main. Quant à Tempetus… Il n’y a même pas de mots pour parler de lui. Il était mon meilleur ami depuis l’enfance. Alors ce vide, là, celui que tu ressens jusqu’au fond de ton estomac, eh bien, je le ressens aussi.

- …

- …

- Au fait, tu ne m’as pas dit ce que tu pensais de ma promotion ?

- Je pense que tu la mérites, sans l’ombre d’un doute. J’aurais évidemment préféré que cela se décide dans des circonstances plus joyeuses, mais la vie est ainsi… Ton amoureux sera bien fier de toi à son retour.

- Son retour… Cela me semble de plus en plus loin, de plus en plus impossible.

- …

- Et puis, c’est vraiment le monde à l’envers : puisque ce sont trois femmes, Rutila, Ventura et moi, qui devons délivrer le prince. Ce n’est jamais comme ça, dans les histoires.

- La vie a beaucoup plus d’imagination que les écrivains…

- Au fait, à propos de prince charmant, où en es-tu avec ton garde ? Tu l’as revu ?

- Je l’ai revu, oui. C’était agréable, réconfortant, mais ce n’est pas l’homme de ma vie. Nous nous sommes dit adieu.

- Décidément, nous sommes là comme deux vieux grincheux, tristes et seuls au monde…

- Vieux, grincheux et tristes, je te l’accorde. Mais nous ne sommes pas seuls au monde ! Nous avons tout un équipage qui compte sur nous, ne l’oublie pas.

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