Chapitre LXXX (2/2)

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(Lumi) - Tu as raison, je suis injuste. Mais ça me rend malade de penser que nous allons partir comme ça, en laissant Orcinus ici, avec ces gens qui l’emprisonnent en prétextant lui vouloir du bien. Est-ce qu’on enferme quelqu’un qu’on aime ?

(Perkinsus) - Ils ne l’aiment pas, ils ont juste besoin de son arbre généalogique. C’est différent.

- Tu sais, il s’est beaucoup moqué de moi quand je m’accrochais à cette histoire de lignée et de royaumes. Il trouvait que j’y accordais une importance excessive. Il avait tellement raison ! Aujourd’hui, je donnerais tout pour récupérer juste Orcinus, au naturel, sans parents ni héritage.

- Tout nu, quoi ! Ma foi, tu ne perds pas le Nord, la vue n’est sûrement pas désagréable.

- Eh ! Tu as fini de lorgner sur mon amoureux ?

- Je ne lorgne pas… Mais je le vois. Enfin, quand il est là.

- …

- Au fait, Lumi, tu ne m’avais pas promis de me dévoiler un secret, si j’acceptais de t’emmener lors de cette maudite expédition ?

- Si…

- Alors ?

- Eh bien, les circonstances ne sont vraiment pas idéales… Mais je suis enceinte.

- Oh !

- Je ne suis pas sûre de vouloir le garder.

- Vraiment ? Pourquoi ?

- Je ne suis pas prête. Et sans Orcinus, je trouve que ça n’a pas de sens.

(A ce moment-là, nous entendîmes un souffle puissant derrière nous, comme si la mer elle-même se mettait à respirer… Nous nous retournâmes en frissonnant dans le froid de la nuit, et à une centaine de mètres derrière nous, là où l’océan reprenait ses droits sur la banquise, nous vîmes passer trois silhouettes sombres sur lesquelles quelques taches blanches brillaient sous la lune naissante.)

- Regarde ça, Lumi, c’est incroyable ! Une orque et ses deux petits.

- Qu’ils sont beaux !

- ...

- ...

- Tu ne crois pas que la Nature, ou Aquahé, t’envoie un signe en faisant apparaître cette orque pile au moment où tu hésites à garder ton propre petit ? Ce sont des animaux que l’on voit rarement, même quand on parcourt les mers toute l’année, comme nous autres Lointains. Et pourtant, parmi toutes les créatures possibles, c’est une orque qui vient nous saluer.

- Je ne crois pas aux signes, Perkinsus. D’ailleurs, elle a deux petits : il y en a un de trop !

- Si tu ne crois pas aux signes, alors écoute ton ventre. Tu aimes Orcinus, je le sais parfaitement. Tu te sens vraiment prête à renoncer à porter son enfant ?

- Non… Enfin, pas vraiment. Le porter, cela ne me déplaît pas. Mais après, je vais devoir l’élever. Toute seule…

- Tu as parlé de cette grossesse à quelqu’un d’autre ?

- A personne. Seul Milos est au courant.

- Bon. Alors moi, je serai là. Je resterai près de toi, jusqu’à ce que tu te sentes prête.

- Que veux-tu dire ?

- Eh bien, la voilerie est trop grande pour toi. Alors tu vas me faire une petite place ! Comme ça, tu ne seras plus seule. Je veillerai sur toi. Après tout, veilleur, c’est mon métier… Et puis, nous nous tiendrons chaud. Il fait vraiment trop froid dans ce pays. »

C’est ainsi que j’héritai d’un nouveau colocataire. Perkinsus était agité, blagueur, et pour ne rien vous cacher, il ronflait bien souvent de tout son cœur depuis l’autre côté de la paillasse. Mais il était aussi bienveillant et droit, et sa présence me soulagea bien au-delà des mots.

Grâce à lui, je pouvais me réfugier dans des bras accueillants lorsque je faisais des cauchemars au milieu de la nuit. Je n’ouvrais plus les yeux assommée par le poids de ma solitude dans les premières lueurs de l’aube. Je ne rentrais plus seule dans ma paillasse après les veillées et les parties de cartes. Et si je gardais toujours mon secret bien au chaud, dans le creux douillet et silencieux de mes entrailles, l’idée que j’allais bientôt avoir un enfant se fraya peu à peu un chemin dans mon esprit. Un enfant brun aux yeux de bronze, dont le sourire reflèterait celui de son père et que les méchants, jamais, ne pourraient atteindre.

J’en étais là de mes rêveries et de mes espoirs lorsque je remarquai que les paysages, qui défilaient sur notre tribord au fur et à mesure de notre descente vers le Sud, devenaient de moins en moins blancs et de plus en plus verts. Nous avions atteint Champarfait…

Et un matin, tout au bout de l’horizon, avec des allures de mille-pattes sur fond azur, je vis soudain la silhouette noire et mobile d’une galère à fond plat. Au même instant, le branle-bas fut sonné à bord de notre trois-mâts.

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