Chapitre LXXXI (2/2)

4 minutes de lecture

Je pensais que c’était à moi que Rotu allait s’en prendre. Mais je me trompais tragiquement. Et lorsque je compris ce qui se passait, il était déjà trop tard. J’entendis comme un frôlement près de moi, un mouvement dans l’air, une plainte étouffée et puis un ricanement : « Voilà ce que tu mérites, salaud de Lointain ! J’espère que ça t’apprendra à me piquer ma femme, à déclamer tes pièces de théâtre à la noix ou à naviguer tout autour du monde. Tu as joué, tu as perdu. Elle est à moi ! »

Je sentis un liquide gluant, chaud, poisseux, s’inflitrer sur la paillasse… Du sang ! Rotu venait de poignarder Perkinsus dans son sommeil, de la façon la plus lâche possible, pensant certainement qu’il était mon compagnon puisque nous dormions ensemble ! Alors je réagis à l’instinct, comme un animal blessé, et je frappai dans le noir, de mes deux mains armées, à quatre ou cinq reprises. Rotu perdit l’équilibre, son poignard lui échappa des mains, il tenta de parler mais j’étais dans une fureur telle que je n’entendais rien !

Je frappai encore et encore, au nom de ma nuit de noces épouvantable, de mon exil forcé, de mon amoureux perdu, de mon ami mort dans le Nord, de mon enfant à naître… Mes coups étaient faibles, imprécis, voire impuissants, je ne rencontrai la plupart du temps que de l’air mais je réussis quand même à le blesser et à le faire rebrousser chemin. Alors sans réfléchir, je me levai et je le poursuivis dans la nuit, jusqu’à ce qu’il rejoigne le pont avant de plonger dans la mer, trois mètres en contrebas. Je guettai pendant quelques minutes, pour m’assurer qu’il ne revenait pas… Mais je le vis refaire surface, une bonne dizaine de mètres plus loin, nageant de toutes ses forces vers la galère où l’attendaient ses sbires.

Je courus alors pour réveiller Milos, qui réussit à comprendre malgré l’embrouillamini de mes explications qu’il devait foncer en voilerie car Perkinsus avait besoin de lui, puis Rutila, à qui j’expliquai tant bien que mal ce qui venait de se passer. Il fallut se décider très vite, et immédiatement, la capitaine m’ordonna de sonner le branle-bas, de réunir tous les hommes de mon tiers autour d’Anguillus et de m’habiller. Elle prit le temps de descendre en voilerie pour demander des nouvelles de Perkinsus au médecin, qui à mon grand soulagement se montra plutôt rassurant ! La scène, qui se dévoilait à la lueur des chandelles que Milos avait allumées pour examiner l’état de son patient, était pourtant effrayante, et ma paillasse était couverte de sang comme de sueur… J’en eus des haut-le-cœur, aussi filai-je aussi vite que possible pour prendre mon quart et respirer l’air marin.

Partout à bord, l’agitation était à son comble. Chacun se pressait pour accoster avec son bateau-lit, rejoignant ensuite le banc de quart ou le réfectoire selon qu'il était, ou pas, membre de mon tiers. Les commentaires et les nouvelles se croisaient, chacun s’inquiétant pour Perkinsus mais aussi pour moi… J’étais très choquée, mais fort heureusement, je n’eus pas une seconde pour y penser. Je me concentrai sur les ordres à donner, les précautions à prendre, les préparatifs à finaliser, pour que tout soit prêt lorsque la capitaine nous dirait d’appareiller.

Pendant ce temps-là, une ambiance identique s’était apparemment invitée sur la galère de Rotu. Il se tenait droit comme un phare, même si son visage, son épaule et sa jambe portaient des traces rouges bien visibles, vestiges de mes tentatives de défense. Je sentais son regard s'appesantir sur moi à intervalles réguliers comme une menace profonde et indélébile. Il jouait son rôle de monarque à la perfection, debout et roulé dans la légitimité affirmée de ses revendications et de ses droits d’époux bafoué…

Les hommes qui l’entouraient avaient-ils au moins compris que j’étais celle qui avait été déclarée trépassée quelque temps plus tôt ? Leur avait-il raconté que j’avais moi-même échafaudé ma propre disparition pour mieux le trahir ? Je n’en savais rien, évidemment. Mais je m’attendais au pire.

Et lorsque je pris mon quart, encore un peu tremblante de mes aventures nocturnes, même si j’étais relativement rassurée sur le sort de Perkinsus, j’avais une boule de colère dans la gorge, mes nerfs étaient tendus comme autant de filets de pêche et je n’avais qu’une envie : poursuivre Rotu jusqu’en enfer !

Rutila m’ordonna de suivre la galère en maintenant une distance suffisante pour rester hors de portée de ses canons et de ses mousquets. Et je dus me forcer pour respecter ses consignes, au point qu’elle me rappela plusieurs fois à l’ordre car nous nous rapprochions un peu trop… Je crois très sincèrement que si cela n’avait pas risqué de mettre en danger tout l’équipage, j’aurais fait en sorte d’étrangler Rotu de mes propres mains, pour me venger de sa violence cinglante, de la mort de Tempetus et de l’absence d’Orcinus. Mais le destin en avait décidé autrement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0