Chapitre XLV (1/2)

3 minutes de lecture

La tradition Lointaine voulait que l’on ne travaille jamais un lendemain de funérailles : chacun était invité à prier pour le défunt et à se plonger dans ses propres pensées. Orcinus et moi nous étions endormis relativement tard, aussi ce congé tombait-il à point nommé. A tel point, d’ailleurs, que nous ne vîmes pas passer la matinée. Lorsque j’ouvris l'œil, il était déjà plus de onze heures. Le soleil du désert inondait les sabords de ses rayons d’albâtre, le navire tournait au ralenti comme un jour de relâche et mon voisin de paillasse était tout pensif sous mes doigts.

Il avait les yeux grand ouverts comme deux puits de lave brune et or. Son bras gauche était glissé sous sa nuque tandis que le droit me caressait le flanc avec une légèreté de plume. Son cœur battait contre mon oreille comme une musique trop lente. Lorsqu’il sentit que je ne dormais plus, il murmura doucement dans les ombres matinales.

« - Bonjour, Lumi. Bien dormi ?

- Oui, merci… Et toi ? Tu es réveillé depuis longtemps ?

- Un bon moment. En fait, je n’ai pas trop dormi. J’ai trop de choses dans la tête.

- C’est normal que tu sois bouleversé… Tu sais que tu n’as pas… Enfin, tes yeux ne sont pas bleus, là.

- Je sais, oui.

- …

- …

(Je me saisis de sa dent d’orque que je caressai machinalement.)

- Tu tenais beaucoup à elle, n’est-ce pas, Orci ?

- Bien sûr.

- Elle aussi, elle tenait à toi. Infiniment. Cela se ressentait au moindre de ses gestes, au moindre de ses mots.

- Oui.

- Et pourtant…

- Pourtant ?

- Pourtant, je suis certaine qu’elle n’était pas ta grand-mère.

- Lumi…

- Je suis sûre que c’est la vérité. Je le sens.

- Ecoute… Milos m’a dit que tu lui avais parlé de ta légende. Je sais qu’à Champarfait, ces histoires de sang, de lignée, d’héritage, c’est important. Nos cultures sont différentes. Nous autres, les Lointains, sommes les enfants du vent et de la mer. Peu importe qui était là avant nous, peu importent nos parents, du moment que l’on avance, que l’on navigue. Le cap compte beaucoup plus que le sillage, tu comprends ? Il faut que t’y fasses. D’accord, ma grand-mère venait d’ailleurs… Ou plutôt, elle venait d’ici ! Port-Eden est un ailleurs très différent, très étranger, plein de dunes et de dromadaires. Mais moi, je suis comme tous les autres à bord de ce bateau. Inutile de chercher je-ne-sais-quels mystères ! Pour être honnête, ça me fait un peu peur, cette insistance que tu as sur le sujet.

- Mais… La vérité ne t’intéresse pas ?

- Non. Ta vérité, c’est le passé. Je préfère vivre le présent, et regarder devant.

- Moi j’ai toujours besoin de savoir. De comprendre. Je ne supporte pas le mensonge ! Et j’ai beaucoup de difficultés à faire confiance. Comment pourrais-je te faire confiance, si je ne sais pas qui tu es ?

- Je ne t’ai absolument rien caché, Lumi.

- Peut-être… Mais comme d’autres te cachent tout, le résultat est le même.

- Je ne trouve pas, non. En admettant que tes histoires soient vraies, et qu’on ne m’ait rien dit, cela ne fait pas de moi un menteur. Je comprends que tu sois méfiante, surtout après Rotu… Mais moi, je ne t’ai pas menti.

- …

- Lumi, tu ne veux pas renoncer à tout cela et vivre tranquillement ce que nous avons à vivre, toi et moi ?

- …

- Tu sais, Muraena vient à peine de mourir. Et toi, tu choisis cet instant pour insinuer qu’elle n’était pas ma grand-mère ? Elle a pris soin de moi depuis toujours, nous avons traversé les mers ensemble, elle m’a nourri, porté, guidé, appris, grondé… Et au lendemain de sa mort, de son dernier voyage pour l’Atlantide, alors que je me sens triste et perdu comme une pierre au fond de l’océan, je devrais douter d’elle ? Douter d’être son petit-fils ?

- Milos me l’a dit ! Enfin, il l’a laissé entendre.

- Cela m’étonnerait. Tu as compris ce que tu voulais comprendre, avec tes sornettes de prince égaré et de royaumes merveilleux. Je ne suis ni merveilleux, ni égaré. Je n'ai vraiment pas la tête à cela. Et je n’ai pas envie de me disputer avec toi. Restons-en là, d’accord ?

- Evidemment ! Maintenant que tu as eu ce que tu voulais, tu me jettes.

- Quoi ? Mais de quoi parles-tu ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0