Chapitre LI (1/2)

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Le soir-même, après avoir dîné avec toute la troupe et plaisanté au réfectoire comme si de rien n’était, pendant qu’Orcinus allait assister à la représentation et aider dans les coulisses comme il le faisait toujours, je choisis de m’isoler un peu. Je m’installai donc sur ma paillasse avec un bon livre et une tisane brûlante, espérant ainsi faire défiler les heures et distraire mon esprit de ma récente discussion avec mon père. C’était aussi un moyen de rester prudemment cachée dans les entrailles du navire et de me dérober aux regards des spectateurs champarfaitois : même si les nobles et les résidents du palais royal ne s’aventuraient jamais sur la plaine ou sur les bords des rivières sacrées pour ne pas risquer de croiser le petit peuple, j’avais décidé de rester sur mes gardes et je me tenais scrupuleusement à cette prudente résolution.

J’avais déniché dans la sainte-barbe un livre passionnant sur une civilisation de pirates et de fées qui n’avait jamais existé, mais dont les grandes découvertes, les glorieuses amours et les joyeuses péripéties me passionnaient depuis déjà plusieurs semaines. Les heures passèrent. Le brouhaha venu du théâtre, sur le quai, laissa la place à une salve d’applaudissements, puis aux murmures d’une foule s’éloignant doucement, à quelques discussions en Lointain à un coin ou à un autre du bateau, et enfin au silence de la nuit. Orcinus n’était pas encore rentré, mais je savais qu’il veillait souvent une petite heure, soit pour échanger avec Alexandrius sur le pont ou dans le réfectoire, soit pour rêvasser le nez dans les étoiles depuis le plateau de hune, sur le mât de misaine.

J’étais plongée dans un chapitre haletant, entre bataille navale et pirates intrépides, lorsque j’entendis quelques petits cris, puis une voix d’homme suivie d’un bruit d’eau, comme si quelque chose de lourd venait de tomber dans la rivière. C’est alors que je reconnus la voix d’Orcinus qui semblait parler doucement à quelqu’un tout en s'interrompant régulièrement pour appeler, très fort, quelqu’un sur le bateau. Je laissai donc tomber mon livre et me précipitai sur le pont dans ma simple chemise de nuit.

Sur bâbord, Perkinsus était dangereusement penché par-dessus le bastingage et semblait lancer quelque chose tandis que Tempetus, oeil éteint et course folle, se précipitait pour voir ce qu’il se passait. Je les rejoignis et c’est alors que je vis qu’Orcinus nageait tout habillé dans la rivière, en maintenant sur le dos une jeune fille blonde comme la lune à laquelle il parlait calmement, en champarfaitois, tout lui maintenant la tête hors de l’eau et en essayant de rejoindre la rive. Immédiatement, Perkinsus et Tempetus descendirent l’échelle de coupée et se précipitèrent pour récupérer cette naufragée inconnue. Pendant ce temps, je courus dans la voilerie pour prendre ma couverture et je revins en trombe sur le quai.

La jeune fille était allongée sur le sol, trempée jusqu’aux os, elle semblait consciente mais paniquée ! Orcinus, dégoulinant des pieds à la tête, essayait de la calmer doucement, tout en lui demandant comment elle était tombée dans la rivière… Elle n’eut pas le temps de répondre, car en approchant pour l'emmitoufler dans la couverture, je la reconnus immédiatement.

« - Suni ! C’est toi !

- Lumi ! Je te cherchais…

- Comment ça, tu me cherchais ? Orcinus, est-ce qu’elle va bien ? Faut-il aller chercher Milos ?

- Ne t’inquiète pas, répondit-il doucement. Elle n’a rien, et dès qu’elle sera réchauffée, il n’y paraîtra plus ! Mais… Tu connais cette jeune fille ?

- C’est Suni, ma plus jeune sœur.

- Oh… Une chance que je l’aie entendue, alors. Je suis allée tout au bout de la vergue et là, j’ai sauté ! Elle s’est cramponnée à moi, au point de casser mon pendentif…

- La dent de Muraena ?

- Oui, mais elle l’a gardée en main, regarde. Ce n’est pas grave, il suffira de changer le cordon. Perkinsus, Tempetus, même si la demoiselle n’a rien, il faut la transporter à bord. Vous voulez bien m’aider ? Ensuite, j’irai me changer et chercher une autre couverture pour elle. Et vous, vous préviendrez Salmus.

(Ils transportèrent délicatement la petite silhouette trempée jusqu’à l’infirmerie où ils l’allongèrent, puis ils s’éloignèrent tous les trois, me laissant seule avec ma petite sœur dont je pris la main.)

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