2008

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Courir après le temps.

C’était devenu une habitude.

Entre deux patients, vérifier si mes parents allaient bien. Si les chiens avaient mangé.

En rentrant, le corps au bord d’une fatigue extrême, ne pas oublier de faire le repas pour monsieur.

Je ne savais même plus comment je parvenais à tenir debout ? À courir d’un point A à un point B sans me péter la margoulette, n’était-ce pas un miracle ? Était-ce l’habitude ? Elle était bien du genre à me faire accepter tout et n’importe quoi.

J’étais la détentrice d’un corps surentraîné. L’éponge des dépossédés.

Sous la douche, la musique en fond, je me laissais tomber sur les carreaux, épuisée.

J’avais à peine la force de tenir le pommeau entre les doigts. Il me parut si lourd. Le plomb n’était que du coton en comparaison.

L’eau ruisselait sur ma peau. Toujours plus chaude pour anesthésier les tourments de la journée. Encore une de passer. Encore un jour sans savoir qui j’étais.

Une ombre sans reflet. Une ombre qui naviguait.

Où était ce calme, cette béatitude dont je manquais tant ?

Les docteurs pouvaient-ils nous en prescrire ?

La journée se jouait sous mon regard éteint. Sur mon corps écrasé sur les carreaux de la douche.

Avais-je fait une pause aujourd’hui ?

Je ne m’en souvenais plus.

Mon rêve ?

Il se fissurait avec le reste de mon cœur.

La porte d’entrée claqua. La voix de Rex jaillit derrière mes remparts.

Allait-il me gonfler ? Remettant à l’ordre du jour, la discussion que nous avions abandonnée hier matin ?

Il avait recommencé à parler mariage, enfants, alors que je ne rêvais que de voyages et de blond aux yeux verts.

J’arrêtai l’eau lorsque j’entendis le loquet de la douche raisonner. Mon corps se raidit par réflexe.

Ne restera-t-il jamais en berne ?

En récupérant ma serviette, je me souvins d’avoir fermé à clé. Une habitude que j’avais perdu pendant un temps, avant qu’elle ne revienne instaurer les règles.

Rex avait la fâcheuse habitude de me coller au cul comme s’il sentait au fond de lui qu’il suffirait d’un rien pour que je disparaisse. Il me couvait d’amour, sans se rendre compte qu’il ne faisait que raviver mes cauchemars les plus terribles. Son « amour » commençait à devenir insatiable. Et je sentais lentement mes crocs pousser. Un jour, je le mordrai à sang.

Si j’étais honnête, je dirais qu’il l’a toujours été, insatiable. Comme j’ai toujours été insatisfaite.

— Pas ce soir, Rex. Referme cette porte, bordel. De l’intimité, c’est encore possible !

Il souriait comme un débile profond qui se croyait irrésistible, avec son tourne-vise à la main. Il ne l’était pas.

Qui faisait ça ?

Rex m’aurait dit « c’est rien. C’est pour s’amuser. »

Se rendait-il compte que ça ne l’était pas pour moi ?

Un jeu ?

Qui jouait à ça, à part les détraqués de la queue raide ?

Rex ne connaissait même pas sa dangerosité. Tout le monde lui rabâchait combien il était un mec génial et tellement gentil. Et que moi, Elynne, j’avais tellement de chance.

Il l’était gentil… mais pas assez pour se rendre compte de certain de ses gestes, de comment, parfois, il me faisait mal au font de ma chair.

Si les autres savaient qu’il prenait pour acquit mon corps, le trouverait-il si sympathique ?

— Tu dis toujours ça, et après tu aimes. Allez chérie.

C’est faux.

Je cède. Je culpabilise de ne pas te désirer. Tu me gonfle. Alors je me laisse faire. Tu ne comprends pas mes refus. Je ne suis pas assez ferme. Je n’ai pas la force de crier après mes journées. Je veux juste la paix, au prix d’autres sacrifices.

— Vire ce sourire de ta gueule. J’ai dit pas ce soir.

— Quand alors ? Ça fait longtemps.

— Ça fait trois jours. Putain, ta mère t’a fait avec des mains, branle-toi. Bon Dieu. C’est dingue, ça ! Fous-toi des glaçons dans le calbut. Fais quelque chose. J’ai l’impression de vivre avec un nympho !

C’était faux. C’est juste que Rex m’aimait et me désirait, alors qu’au fond, je n’avais jamais été capable d’un tel amour pour lui, d’un simple désir. C’était juste devenu facile d’être avec lui. Je le connaissais et…

J’avais toujours fait de la merde. On aurait dû se quitter six mois après notre rencontre. C’était clair dans ma tête depuis le début. Je voulais juste qu’on m’aime. Et Rex m’aimait.

Mais ce n’était plus assez. Plus rien ne l’était.

La fatigue me flinguait et mes nerfs commençaient à se révolter.

Je voulais être aimé et aimer à mon tour. Découvrir ce qui me rendrait accrocs à l’autre, à ce « nous »…

— Rex ne me force pas à te le crier.

Mais j’étais du genre à écouter ce que les gens auraient pu dire de moi si je quittais Rex.

Au fond, j’avais toujours été seule.

Pas d’amis. Même pas un. Personne.

Pas de soutien.

J’étais seule avec Rex qui m’aimait. Mon seul ami. La seule personne qui voulait de moi. La seule que je voyais depuis le collège. Si longtemps.

À vingt-six ans, je ne savais plus comment me libérer de mes multiples chaines.

Pourtant, je rêvais encore. Dans mes rêves, il y avait le monde sous un autre soleil, il y avait ces autres qui me tendaient la main et il y avait ce jeune homme aux yeux verts.

Je le rêvais si souvent.

Il était devant une mer de Monts enneigés, la tête relevée vers moi, cette ombre incomplète. Il me souriait comme si j’étais son tout.

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