Juillet 2012 - 1
Je n’arrivais pas à décrocher mes yeux d’iel. C’était bizarre de lea voir en chair et en os. J’veux dire, autre part que sur le portable de Max, mon beau-père. Son corps me plaisait, surtout, les petites striures blanches qui rappelaient d’anciennes blessures sur ses bras. J’aimais sa façon de rire aussi. Ely avait ce visage dur et doux à la fois, et avec son torse, il m’était compliqué de savoir exactement où iel voulait en venir. Voulait-iel devenir lui ou ce voyait-iel avec dû lui et du elle ? Pouvais-je lea considérer comme le troisième sexe ? Pour ce que j’en avais lu, j’avais envie de dire que oui. Mais je n'étais pas encore assez renseignée sur le sujet. Ma mère m’avait confisqué les romans qui en parlaient quand elle s’en était aperçue. Il était facile de me faire acheter des livres par Max. Il concevait que je sois « beaucoup trop » en avance sur mon âge. Ma mère me bridait, mais je déjouais ces interdits. Je lui donnais ce qu'elle voulait et lui cachais le plus gros de mes lectures. Si elle parlait bien anglais, elle le lisait aussi très mal. Ce qui n'était pas mon cas. Alors je me documentais dans cette langue. Ma mère pensait avoir le contrôle. Elle ne l'avait pas. Personne ne l'avait, même pas nous-même.
Je n’étais pas sûr de toujours tout comprendre de mes lectures ou de ce sujet, mais je savais qu’iel était biel. Vraiment biel. Biel, comme je commençais à apprécier les corps. Biel comme mon amie Amélie me l’avait appris. Et comme sa sœurnous l'avait enseigné en parlant de sa "communauté". Elle nous en parlait en chuchottant, parce que personne ne devait l'apprendre.
On m’aurait bien sûr dit que j’étais « beaucoup trop » jeune pour observer de cette façon… et que je devais arrêter de raisonner comme une grande personne. Si tant est qu’ils raisonnaient tous de la même manière.
Ça m’amusait ce mot : grande personne. Il m’avait toujours amusé. Surtout quand je regardais les « grandes personnes » faire et se tromper. Ma différence avait toujours posé un problème. À moi. Aux autres. Il m’arrivait de me demander pourquoi je pensais comme ça. Pourquoi n’étais-je pas intéressé par les dessins animés, les peluches, les jeux de mon âge. Pourquoi les garçons et les filles de douze ans m’horripilaient ? Pourquoi me sentais-je toujours mieux avec plus vieux que moi ? Et pourquoi je scrutais mes camarades de classe en ressentant cette étrange attirance pour leur apparence, pour leur corps ? Ils étaient tous plus vieux. Mieux fait que moi. Je ressentais une vive chaleur, des envies que je ne contrôlais pas tout le temps. Des envies qui me faisaient me cacher dans les toilettes. J’étais devenu plus intime avec mon corps. Et bien sûr que j’avais fait des recherches pour bien comprendre ma transformation. Amélie m’avait expliqué. Elle m’expliquait constamment ce que les ados de son âge faisaient.
Je grandissais, et ce qui ne me faisait aucun effet, il y a encore six mois, me démanger plus vivement cet été. C’était le processus. Celui qu’une grande partie des jeunes adolescents apprenaient…
Je savais, comme tout le monde, que le temps m’apprendrait mille-et-une choses, mais je n’étais pas du genre patient, alors je m’épuisais à comprendre. J’avais cette envie de me dépasser, de marcher plus vite pour terminer les puzzles dans mon esprit.
Plus vite…
Toujours plus vite. Oui.
Une peur naissait en moi quand je ne savais pas. Ça me terrifiait. Ne pas savoir me mènerait-il à faire des idioties ? Est-ce que moi aussi je finirais pendu à une poutre ? Parce que je manquai de temps…
Je savais que je n’avais plus l’âge ou l’envie de réclamer les bras de ma mère ou celui de mes sœurs. En vrai, ça faisait déjà longtemps que je m’en étais détourné.
Les hormones ?
Je planchais sur le sujet sans grande certitude. J’avais besoin d’espace et de regarder Ely en catimini. Dans le manoir familial des Torrens, je m’y exerçais entre deux lectures, confronté parfois à des questions auxquelles j’avais besoin de réponses.
Je m’installais sur un transat libre, enroulé dans ma serviette et le regard rivé sur Ely. Iel dormait un bras sur les yeux, l’autre pendant sur les dalles. Sa peau était encore plus blanche que celle de Max. Avait-iel mit de l’écran total ? À quoi ça ressemblait Ely avec un coup de soleil ?
Son torse se levait et se baissait en rythme. Je n’arrivais pas à en détacher le regard. Comment son cœur battait-il ? Et est-ce que sa peau était douce ? Douce comment ?
Iel se retourna sur le côté. Sa chevelure foncée et raide se déployait autour de ses épaules tatouées. Ça lui allait bien les cheveux lâchés, ça formait comme une crinière autour de son visage.
— Salut !
Une voix trop enfantine me surprit.
— Mon frère m’a dit que tu étais tout seul. Tu veux venir jouer avec nous ?
Je me tournais vers la voisine. Laurenne, douze ans, comme moi. Son frère, Jupiter avait quinze ans. Il me voyait comme tous ceux qui ne me connaissaient pas : un petit garçon qui aimait tirer sur les tresses des filles et les taquiner. Il ne comprenait pas pourquoi je regardais Ely. Au moins lui l’avait remarqué. Je ne me cachais pas toujours. Jupiter ne s’était pas fait prier pour se moquer de moi. « tu n’es pas un peu jeune pour t’intéresser à Elynne ? » avait-il lancé pas plus tard que la veuille. Depuis, il m’envoyait sa sœur pour me rappeler l’âge qui était le mien. Il ne savait peut-être pas que je côtoyais des gars comme lui dans ma classe. Le privilège d’avoir sauté plusieurs classes. Certains se pensaient en danger avec moi. Ils avaient raison. Les filles aimaient les garçons calmes, attentionnés, brillants et beaux. Ce qu’à l’évidence, j’étais. Je n’en avais plus de doute depuis que Alice, Julia et Grâce m’avait embrassé derrière le collège. J’avais apprécié. C’était nouveau. Loin d’être dégoûtant. Julia avait pressé sa poitrine. Ce geste avait été doux.
J’étais, effectivement, trop jeune pour m’intéresser à Ely. Mais ça ne m’empêchait pas de m’y intéresser quand même. Pour Ely, j’avais d’abord beaucoup d’admiration. Ce qu’iel écrivait parlait de l’ombre de l’humanité et plus précisément de la complexité d’être soi. Des sujets forts, intenses qui me faisaient réfléchir. Et j’avais besoin de réfléchir. De comprendre.
Peut-être bien que je ressentais une émotion plus particulière depuis qu’iel était arrivé une semaine auparavant.
Un coup de foudre ?
Je m’étais renseigné sur internet, et ça y ressemblait drôlement.
Le coup de foudre : est un phénomène qu'un individu peut expérimenter lors d'une rencontre subite avec une personne inconnue durant laquelle l'attirance est amplifiée par la sensation de surprise liée à la rencontre.
J’étais attiré par Ely. Je n’étais pas encore tout à fait certain de comment, mais j’avais un pincement au cœur quand les plus « grands » que moi avaient des interactions avec iel. Comme maintenant. Moi, j’avais du mal à m’approcher d’iel. Pas par timidité. Non. Je ne l’étais pas. Par peur qu’iel me juge, me semblait plus juste.
Je ne savais même pas si lea m’avait remarqué.
Quand Ely ouvrit les yeux, Jupiter en profita pour se rapprocher d’iel. Si j’étais trop jeune, se rendait-il compte qu’il l’était tout autant. Comme si Ely allait s’intéresser à lui.
Je haussai les épaules et rejoignis la bibliothèque. Du balcon, j’aurai une vue plongeante sur iel.
Je pourrai la croquer dans mon carnet de dessins. Iel serait à moi, prisonnier du papier.
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