Juillet 2 - 1/2

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— T’inquiète, je t’ai dit qu’il n’y avait pas de problème. Tu peux squatter la bibliothèque l’année entière si ça te chante. Tu es là, à la maison. Ne me le fais pas répéter, ma sardine argentée.

Stupide surnom qui m’irritait les oreilles chaque fois qu’Evack le sortait. Comme les cent-sept autres qu’il utilisait à profusion et quand ça lui faisait plaisir. Il ne pouvait pas m’appeler Ely comme tout le monde, non ?

Bien sûr que non ! C’était trop commun pour Monsieur.

C’était Evack après tout. Il fallait de l’originalité pour « sa sardine argentée ». Un jour ça finirait par lui passer. Tout le monde comptait sur le temps pour échapper à un nouveau surnom à la con bramé en plein milieu d’une foule.

Moi la première. Ça allait bien un temps, mais là, je saturais. Ça devenait compliqué de savoir à qui il s’adressait. Lorsque nous étions en nombre, comme cet été, on se retournait tous vers lui, bien certains qu’il nous parlait.

Evack ouvrit la porte de la bibliothèque de son grand-père et me jeta dedans, me faisant clairement comprendre que chez lui, c’était chez moi. Ce n’est pas que cela me gênait, je connaissais Evack depuis trois ans, maintenant. Je l’avais rencontré dans le bar où je jouais avec mon groupe. Il m’avait branché sur mon tee-shirt Hulk qui « kiffait à donf », pour reprendre son vocabulaire. J’avais souri en matant le sien avec le logo de Flash. On avait discuté BD et films pendant une bonne heure avant que le patron nous interrompe en lui lançant une blague graveleuse sur sa bouche pulpeuse. Je n’aimais pas ses façons à ce type. Ni avec Evack ni avec Linda, la chanteuse du groupe. Ni avec personne d’ailleurs. Étrangement, il ne s’était jamais risqué avec moi. Selon Evack, j’avais un regard qui dissuadait de l’ouvrir. J’avais reconnu une valeur sûre à mon regard de tueur. Personne ne me faisait chier longtemps. Je pense que les gens confondaient ce regard assassin avec celui que je portais vraiment. J’avais toujours fixé un point imaginaire dans ma tête, ça me faisait partir loin parfois, et je ne me rendais pas même compte que mes yeux étaient braqués sur quelqu’un. Mon regard accrochait et ma fixation « trop » froide me donnait l’air d’un dépeceur. En bref, l’ancien patron s’était toujours gardé de m’affronter sur ce terrain très glissant du second degré, proscrit au moins de dix-huit ans. Ça se reconnaissait un chien, toutes dents dehors, même avec un calme apparent.

En connaissant Evack, je m’étonnais qu’il n’ait jamais foutu son poing dans la gueule de ce con de propriétaire. Aujourd’hui, je comprenais pourquoi. Il voulait se le mettre dans la poche depuis le début et racheter son bar. Bar que sa grand-mère avait ouvert des années auparavant. Et qu’il avait racheté grâce à une collection de parfum qu’il avait mis au point avec une amie. Une collection qui marchait toujours. Son frère en avait pris la suite, le laissant à ses fantaisies.

Evack était vraiment le type qui réussissait quoi qu’il entreprenne, mais il se lassait vite. Ça me fascinait cette façon qu’il avait de se métamorphoser. Il portait tellement de couleur sur lui. Chaque jour, un nouvel Evack, une nouvelle surprise. Que ce soit dans sa vie ou dans son style.

Je jetai un œil sur ses fringues du jour, rien à voir avec le short fleuri d’hier. Non. Aujourd’hui, il portait un pantalon chino léger dans des tons bleutés et une chemise ample déboutonnée et transparente au-dessus d’un marcel cintré.

Il replaça une mèche derrière son oreille, râlant qu’il finirait avec une tondeuse à la main. Une idée qui pouvait s’avérer opérationnelle.

— Tu seras tranquille pour bosser, ici. Mais Ely, pense à décrocher un peu. T’es en vacances. Je veux te voir lézarder devant la piscine.

— Et c’est ce que j’ai fait depuis que je suis arrivé. Je lézarde.

— Ouais, on va dire ça comme ça.

Il fit une moue qui n’en était pas vraiment une avant de hausser les épaules.

— Avant que je ne te laisse. Fais gaffe à Jupiter, il fait plus vieux que son âge, mais il n’a quinze ans.

— Je m’étais douté qu’il n’était pas majeur, t’inquiète. Et même s’il avait eu le bon âge, il ne m’attire absolument pas.

— Par contre, les fils des Martin et les filles de Spoli, ont tous plus de dix-huit ans.

— Ne m’intéresse pas non plus, en revanche la belle Camille Des Long De Bois, est parfaite. Curieuse à souhait.

Une jolie brunette, étudiante en lettre.

— Oh ! Non ! Ne me dis pas que tu as réussi à la draguer.

— Douterais-tu de mes talents, Vack ?

— Non. Je sais de quoi tu es capable. Je le vois de mon comptoir.

Un rire franc sortit de ses lèvres. J’agitai la tête. Un boucan ce gars.

— Ton charme Ely. Je devrais arrêter de m’étonner.

Evack soupira joyeusement avant de me faire un clin d’œil.

La porte de la bibliothèque claqua derrière moi, me faisant comprendre qu’elle était désormais mon domaine, et ça, pour tout l’été si ça me disait.

En trois ans, c’était la première fois que j’acceptais son invitation. Je pouvais me le permettre depuis que mes parents étaient décédés. Je n’avais plus personne à m’occuper et pas mal de temps libre entre le groupe et mon métier d’écrivain. Beaucoup trop de temps.

J’aurais pu prendre mon carnet d’envie et lister tout ce que je voulais encore faire, mais j’étais tombé dans une telle routine que je ne savais plus vraiment faire autrement. C’était sans compter sur Evack pour me prendre la paluche et m’emmener, moi et mes chiens dans le manoir familial en pleine Auvergne dans un été caniculaire. J’étais bien à Toulon. Au moins, je savais à quoi m’attendre des températures. Ici, même si le soir, je me pelais la pâquerette, la journée était suffocante. La piscine et la climatisation ne suffisaient pas toujours à me rafraichir. Bon Dieu que je détestais l’été.

La moiteur de ma peau, l’odeur de transpiration malgré les douches et le déo, cette envie de roupiller « no stop »et les corps à moitié nu qui passaient d’un bout à l’autre dans le jardin.

Evack aimait avoir du monde, quand moi, j’aimais être au calme, loin de la cohue.

Je basculais la tête vers le haut plafond à caissons avant de l’amener sur la partouse de livres, collés et serrés sur leur étagère. Il y avait de tout. Du bouquin ancien, des essais, des nouvelles... de BD. J’étais comme une dingue, le sourire aux lèvres. Je savais déjà que je camperais ici, une bonne moitié de la journée et pendant tout l’été. Pas de concert depuis que Linda, notre chanteuse avait perdu sa voix et que notre guitariste, c'était péter le poignet.

Je passai entre les fauteuils, le gigantesque canapé et la vinylothèque avant de prendre d’assaut le bureau gargantuesque en acajou. J’étais un prince.

Je posais mon ordinateur portable, l’ouvris et m’installais sur la chaise en cuir. Devant ma page Word, j’étais fin prête à poursuivre mon histoire, quand soudain le silence profond de la pièce me posa soucie. C’était beaucoup trop calme pour que je me concentre. Calme, comme si le bruit n’avait jamais existé. Et je n’aimais pas beaucoup ce calme. Il n’était jamais de bon augure.

Je me redressai, et choisis au hasard un vinyle avant de le placer dans le tourne-disque qui jouxtait une colonne en plâtre. La richesse de l’endroit.

Il y avait une pointe de romantisme dans ce coin de la bibliothèque. Plus de recoin. Plus de fleur décorative. Du bois, des dorures, des moulures… des miroirs.

Je fixais un instant mon reflet dans l’un d’eux. Ma chemise était ouverte sur mon torse. Je me retrouvai, après des années à avoir fermé les yeux, sur qui j’étais.

Parfois je n’étais ni elle ni lui… j’étais nous. Homme et femme. Et ce que je voyais dans le miroir, c’était ce que je cherchais depuis toujours : un être entre deux eaux.

Hypnotisé par mon corps, par le regard que je posais dessus, je laissais glisser ma chemise au sol pour mieux me voir. Les mains passées dans mes cheveux, je retirai la barrette qui retenait ma longue tignasse. Des cheveux raides, châtain foncé qui dégringolaient de part et d’autre de mon torse. J’aimais avec passion ce que je fixais. Moi et moi seul. Moi dans tout ce que j’avais toujours été : nous.

En souriant à mon reflet, je ramassais ma chemise et la remis sur mes mes épaules quand une ombre derrière moi m’interpella.

En fixant le miroir devant moi, je capturais deux grands yeux verts, en amande, fixés sur moi dans une étrange réflexion. Je n’arrivais pas à capter la signification de cet éclat dans le regard de ce gamin.

***

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