Juillet 2 - 2/2
Il se redressa, un livre épais entre les mains. Je ne l’avais pas remarqué.
Il ne me parut pas très vieux, pourtant il lisait le trône de fer. Pas la version française, mais l’intégrale 4 : À faest for Crow, en anglais. Je le savais parce que mon voisin de wagon m’en avait parlé dans un accent très british. Un fan.
Je fixais un regard troublé sur le livre. Le gamin lui avait déjà fait mal. Il devait en être à la fin. Quel était l’adulte qui laissait un gosse lire ce genre de littérature ? S’il avait plus de treize ans, c’était le bout du monde. Et s’il avait bientôt fini celui-ci, c’est qu’il avait lu le reste. Et si c’était fidèle à la série alors, il y avait de quoi s’interroger.
Plus petit que moi et mon mètre soixante, il ne me lâchait pas du regard. Et stupidement, je restais dos à lui, obnubiler par ses yeux verts dans le miroir. Que cherchait-il à voir à l’intérieur de moi ? Parce que c’était ce qu’il faisait ? Il scrutait mon âme. J’aurais voulu me retourner pour pouvoir affirmer qu’il n’était pas une illusion, mais je n’arrivais pas à bouger. J’étais paralysé par la beauté de son visage. Par ses yeux trop verts.
Il avançait derrière moi. Son reflet grandissait. Il n’était pas si petit.
La lumière qui passait entre les volets croisés jouait dans ses boucles châtain clair. Elles lui tombaient sur le front et lui glissaient sur les épaules.
Plus je le regardais, plus le gamin me paraissait froid comme du roc. Ce n’était pas le visage d’un gamin sur lequel mes yeux brûlaient… Il y avait quelque chose de féroce en lui. De reptilien. On aurait dit qu’il allait me sauter dessus à tout instant et boire mon âme. Était-il vivant ou était-il une absurdité imaginée ?
Il s’arrêta quelques centimètres derrière moi. Est-ce que c’était sa chaleur que je ressentais dans mon dos ou la mienne qui me dévorait ?
Je me sentis malaisant, comme si une émotion encore inconnue m’enlaçait avec rudesse.
Il me tendit un morceau de papier, sans quitter mon regard. J’étais toujours dans l’incapacité de me retourner, cependant, je suivis le geste. Quand sa main fut au niveau de mon épaule, je pris ce qu’il me tendait.
— Vous croyez vraiment que l’âge a une importance dans un moment si particulier ?
Je ne m’étais pas attendu à l’entendre. Sa voix était grave avec des notes enfantines.
De…de quoi parlait-il ?
Je fronçais les sourcils, interprétant certainement mal la question qu’il venait de soulever, et finis par lui faire face.
Il avait un bon dix centimètres de moins que moi, mais son assurance me refroidit d’un coup.
— J’attendais de pouvoir vous le demander.
— De quoi parles-tu, gamin ? dis-je sur un ton un brin trop dur.
Je ne savais pas comment réagir. Et mon instinct me commander d’en rester loin.
— De ça, dit-il en montrant le papier plié. Et de ça.
Il pointa mon ordinateur et les lignes de mon nouveau roman.
Peut-être étais-je trop expressive, et je l’étais. Il sourit et secoua la tête.
— Je fais cet effet à beaucoup de gens, vous savez, s’amusa-t-il sans me quitter des yeux.
Cet effet ?
Je penchai la tête.
L’effet d’un courant d’air glacial et inattendu. Plus que perturbant.
D’ailleurs, pourquoi l’était-il ? Perturbant !
Une peur étrange et dérangeante me prit au ventre.
— Les mots de pass et Max, c'est toute une histoire, raconta-t-il. Tu devrais le savoir, vu que tu prends son pc pour t’envoyer des morceaux de textes par mail.
Il était, semblait-il, à l’aise. Venait-il de me tutoyer ? Il me faisait halluciner.
— Max ? Comment tu connais Max ?
Max avait été mon éditeur pendant deux ans. Je l’avais rencontré à un salon du livre et le courant était passé entre nous. On se comprenait et il venait de créer sa maison d’édition. Tout ça sans dire qu’il avait dans sa propre bibliothèque tous mes romans autopubliés. Il savait qui j’étais quand il m’avait démarché.
Max était le genre de gars à fond dans ce qu’il faisait. Il fallait que ça marche, sans quoi, il déversait toutes les larmes de son corps. Un mètre quatre-vingt-dix, ça retient beaucoup de larmes. C’était d’ailleurs comme ça qu’il était la plupart du temps, un mouchoir accroché au nez, en train de pleurer pour une raison ou une autre. Hypersensible. Un rien l’impactait. Monsieur qui rit. Monsieur qui pleure. Un amour d’homme. Une tête en l’air.
Je n’avais jamais eu un éditeur comme lui. D’ailleurs y en avait-il des comme lui ? Prêts à sonner à votre porte pour vous encourager et bosser un chapitre ou deux face-à-face à la terrasse d’un café toulonnais. C’était pour ça qu’il n’avait pas les épaules pour une maison d’édition et qu’il avait refilé la gestion à sa belle-sœur. En revanche, c’était un agent littéraire hors pair. Depuis un an qui gérait mon emploi du temps, j’avais triplet mes ventes et signais de beaux contrats avec des pointures. Depuis le début de l’année, je passais pas mal de temps avec lui sur les routes de France, d’un salon à un autre.
Je fixais encore le blondinet avant de tiqueté.
— Mathys ?
— Je me disais aussi, Max avait forcément parlé de moi.
Pour en parler, il en parlait. Mathys était le genre de petits génies dont un beau-père pouvait être fier. C’était le fils idéal, le gamin qui s’intéressait absolument à tout et qui aimait expérimenter, quitte à donner des sueurs froides à toute sa famille. J’avais ri lorsque Max m’avait parlé de la supposée copine de Mathys. Le morveux avait amené, un après-midi d’avril, une fille, pour l’aider avec son exposé. Ce qui s’était révélé être vrai. En revanche, Max ne s’était pas attendu à voir la fille en question à califourchon sur son beau-fils. Selon lui Mathys avait à peine haussé les sourcils.
« Je me demandais ce que ça faisait d’embrasser une fille », avait-il dit à Max. Ça m’avait soufflé. Mais bon, j’avais embrassé mon premier copain à onze ans, en colonie de vacances. Je ne jugerai pas des expériences d’un gamin de douze ans en classe de troisième.
Pourquoi ne l’avais-je pas reconnu tout de suite ? Max passait son temps à m’envoyer des photos de sa famille. Pourquoi ? J’avais encore du mal à le saisir, mais s’il était un même calibre que son cousin – Evack - c’était qu’il m’avait intégré à sa famille.
Oui… le monde est petit.
— Forcement… J’imagine que tu as lu mon roman, dis-je.
Forcément, ce n’était pas du tout de son âge.
— Comme une grande partie des livres qui se trouvent dans la bibliothèque de Max.
Tous ? Mais qu’est-ce que ses parents avaient dans le crâne ? Il n’y avait rien dans mes livres qu’un gamin de douze ans pouvait lire.
— Bien sûr. Euh… eh bien, merci pour ton avis, dis-je d’une façon légère. Mais Fais-moi plaisir, ne lis plus jamais mes romans avant ta majorité.
— Je ne fais pas ce genre de promesse, je lis ce qu’il me plait et quand cela me chante.
Putain… l’arrogance de ce gamin !
Max avait de quoi se faire des cheveux blancs. Il m’avait expliqué que Mathys n’avait pas toujours été calme. Le calme n’était qu’apparence, effectivement. Il avait beau se tenir devant moi, à l’aise et serein, en plantant ses yeux dans les miens, j’y décelais une pointe de nervosité. Je n’avais aucune envie de le prendre au sérieux, mais il m’y forçait.
« Mathys ne reste pas en place facilement. Il ne supporte pas d’attendre. Il a toujours besoin de répondre à ses questions. Il grandit trop vite. Réfléchis trop fort », avait dit Max une de ces fois, alors qu’il me rendait visite pour me secouer les puces. Mes romans me donnaient toujours du mal vers la fin.
« Il a passé trois classes pour continuer à s’ennuyer », me souviens-je.
— Je vois. Après tout, fais c’que tu veux, je m’en balance les pastèques, finis-je par dire.
Je me détournais de lui avec un léger tremblement. Le miroir, face à moi, me renvoya mon reflet. Visiblement, j’avais rougi devant ce gosse. Bordel !
— Les pastèques ? Original.
Sa voix avait encore de belles notes enfantines et pourtant, les mots et la façon dont il me jetait ses phrases n’avaient rien d’innocent. Sa compréhension avait décodé mon allusion.
Je ressentis cette peur indéchiffrable monter en moi. Qu’essayait-il de voir à travers mes remparts ? Je n’aimais pas qu’on cherche si loin derrière mes retranchements.
— Il faudrait réviser ton jugement, sur ton couple, se buta-t-il à m’expliquer. Le rendre plus actuel, voir, plus moderne encore. Bien sûr, je dis ça, comme ça. C’est toi qui écris.
J’arquai un sourcil. Me faisait-il la leçon sur comment écrire ?
— Et encore une fois, je ne pense pas que leur âge soit le véritable problème. Tu devrais gratter un peu plus leur passé.
Me cherchait-il ? Pourquoi ? Et moi, qu’est-ce qui me prenait de lui parler comme si j’avais Max ou Evack devant moi ? Quel était cet intérêt que je lui octroyais ? Je donnais de la valeur à son avis. Parce qu’il était pertinent.
— Je sais ce que je dois marquer. Même si ça n’vient pas comme je veux pour le moment, ça ne serait pas tarder.
— Je t’ai énervé ? demanda-t-il.
Il le savait très bien. Je comprenais un peu mieux le besoin de Max à vouloir prendre du recul, quand il conversait avec son beau-fils. Combien de fois Mathys avait-il remis en question les choix de Max ?
Je ne répondis pas.
— Excuse-moi. Je ne voulais pas te blesser.
— Alors arrête de parler, dis-je sèchement.
C’était quoi cette réaction de merde ?
Il n’a que douze ans. Ce n’est rien. Il ne comprend pas.
La chaleur devait me monter aux méninges. Je n’avais jamais supporté d’avoir chaud. Je manquai de réflexion. D’ailleurs, je ne supportais pas d’avoir froid non plus. Et Mathys m’entrainait dans un courant d’air chaud et froid à la fois.
Il me prouvait son existence.
Je boutonnais ma chemise sans raison et rattachais ma chevelure avant de me coller devant mon écran, ignorant le gosse encore planté au même endroit.
Qu’est-ce qu’il faisait là d’ailleurs ? Max n’arrivait que dans deux semaines ? Je haussai les épaules et écoutai les pas de Mathys s’éloigner.
Un frisson me traversa.
Avais-je mal interprété son regard qu’il avait glissé sur mon torse un instant plus tôt. C'était-il réellement arrêté sur mon bas-ventre ?
Non…
C’était dans ma tête.
Et ma tête avait des pensées dégueulasses que je répudiais aussitôt plongée dans mon histoire.
À douze ans, on ne faisait que tester la patience des autres. On commençait à se découvrir.
Rien de bien méchant.
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