Juillet 7
Mathys
Lucien dormait sur mon ventre depuis une bonne heure. J’avais fini par quitter ma lecture pour le regarder. Je me sentais incapable de décrocher mes yeux de son petit corps. Je sentais son cœur battre dans le mien et c’était une sensation étrange. Si étrange que je me pose la question de comment était le rythme cardiaque d’Ely. Les jumelles m’auraient assuré que je pensais encore trop. Elles avaient raison. Je pensais toujours trop. J’avais toujours besoin de réponses. Parfois, je restais des heures à consulter les forums pour répondre à la farandole de question que je me posais. Je n’arrivais pas à arrêter de réfléchir, alors les insomnies se poursuivaient, parfois remplacées par les migraines.
Max m’avait demandé pourquoi j’avais besoin de savoir toujours tout de suite. Je lui avais répondu « pour mieux comprendre le monde, les gens, la vie ». J’avais neuf ans et je l’avais laissé pantois. Je les laissais toujours hébétés. Ma mère pensait que j’étais une personne à part et que je raisonnais autrement qu’eux. Je ne le faisais pas. J’avais juste besoin de savoir, de manger du savoir, de m’occuper l’esprit, tout le temps pour éviter le vide. Le moment où j’observais le rien qui convenait au monde des abysses, je pensais à papa, à ce que j’aurais pu faire pour le sauver de lui-même.
— Ah, vous êtes-là ! s’étonna ma mère en circulant dans la bibliothèque.
Pourquoi ? Ce n’était pas rare que je traîne dans la bibliothèque. Et depuis que Lucien avait appris à marcher, il me suivait partout. Max et Carmen disaient qu’il avait un penchant pour moi. Je crois que les enfants, les jeunes comme Lucien, sentent les personnes comme moi. Les personnes qui ont peur de ne jamais trouver ce qu’il cherche. Ils entendent les cœurs brisés, les vies fichues en l’air… Ce sont des bonbons à la violette pour nos cœurs abîmés.
— Le repas est servi, venez manger, mes chéris.
Maman tendit la main vers Lucien qui se frottait les yeux. Il préféra rester dans mes bras et ça ne me dérangeait pas. J’aimais mon petit frère. Je voulais apprendre plus pour le protéger. Pour qu’il n’ait pas à vivre trop tôt des tortures faites à l’esprit.
Je me redressai, en le portant, et quittais mon livre. Le huitième depuis mon arrivée.
Maman me fixait. Ses yeux verts ne savaient pas aller en profondeur pour lire mes pensées. Elle me voyait comme un petit garçon sage, sur lequel elle devait veiller plus fort que sur les autres. Elle avait peur de me perdre encore. Si elle ne voyait que ce que je lui donnais,moi, je lisais tous ses cauchemars quand elle ne me trouvait pas à temps. Je crois aussi que je l’effrayais un peu, parce que je savais trop de choses, des choses qu’elle n’avait pas idée ou qu’elle ne voulait pas que je sache. Elle voulait me freiner, mais elle ne faisait que m’affamer. Et je devenais silencieux pour l'illusionner.
J’arrivais toujours à mes fins…
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