Juillet 8

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Ely


Max et Evack se calaient sur la balancelle dans le jardin sous les larges branches, tous les deux, une limonade à la main. Allongés, les jambes, les unes sur les autres, ils parlaient de leurs anciens amours de primaire. Je les regardais en sirotant mon mojito sans rhum et avec beaucoup de basilique et de menthe. J’aimais bien traîner avec eux. Juste nous trois. C’était facile. Ils étaient les amis que je cherchais depuis des lustres. Dans ma profonde solitude, je les inventais, eux et mille autres pour pallier au désert social dans lequel je grandissais. Ils existaient avec d'autres noms, d'autres visages et dans un monde irréel.

La conversation dériva vite sur leur première expérience et j’écoutais plus fermement.

— C’était une catastrophe, avoua Max en se tapant le front. Je venais d’avoir dix-huit ans, elle en avait vingt-deux. Je ne savais pas par où commencer et c’était sa première fois aussi. Je me référais au porno que j’avais maté, mais ce qu’on s’apprêtait à faire n’avait rien avoir. Je l’aimais, la désirais, elle était humide, le cœur battant la chamade. On sait fracasser le crâne une bonne dizaine de fois et quand je les pénétrai, je me suis vite rendu compte que ça lui faisait un mal de chien. On a fini sur le pc à regarder une vidéo explicative. C’était… très romantique.

Evack explosa de rire. Le liquide dans son verre, chahuté, parti par terre.

— C’est toujours épique tes premières fois, cousin.

— M’en parle pas.

— Et toi Evack, comment c’était ta première fois, demandai-je, curieux.

Le corps bronzé, Evack bomba le torse, passant ses doigts dans ses cheveux d’un noir bleuté, à la façon d’un beau gosse confiant.

— Un lapin sous excitant, cher Ly.

Cette fois, c’était Max qui rit, chutant presque de la balancelle. Il connaissait l’histoire.

— J’avais dix-sept ans, Lewis vingt-cinq. Il était de passage à Nice. Il était étudiant en art, beau comme une statue grecque. Qu’est-ce que j’avais été godiche ! Il m’avait pris par la main, m’avait caressé et m’avait murmuré la marche à suivre sur le bout de mes lèvres. Il m’avait dit qu’il aimait se faire prendre alors, je l’avais pris, avec une maladresse hors du commun.

Je lâchais un rire. J’aurais voulu voir ça. Depuis que je connaissais Evack, je lui avais toujours trouvé une adresse phénoménale. Qu'est-ce que cela donnait quand il se mêlait les pinceaux ?

— J’ai duré deux minutes en le pilonnant comme un marteau-piqueur. Il avait éclaté de rire. On l’avait fait trois fois. Et par chance, je m’étais amélioré. Lewis m’avait super bien guidé. Il avait été doux, prévenant. Bref… un type bien. Et toi, Ely ? Raconte-nous ta première fois, toi lea Donjuan !

— Je n’ai rien d’un ou d’une Don Juan.

Je secouai la tête, les yeux au ciel. Evack s'inspirait de la façon dont le jeune Mathys parlait de moi. Une sorte de langage pour parler des gens comme moi, entre deux. Il s'en lassait vite. Ça ne lui semblait pas naturel. Tout comme à moi. Quand on avait appris une façon de dire les choses, on s'y tenait.

— Tu en ramènes à chaque concert des minets, des mignonnes, des touts ce qui peut faire briller la convoitise dans tes yeux. T’es om prédateur, continua-t-il.

L’étais-je ? Un prédateur sautait sur sa proie pour la démembrer, moi, je ne faisais pas ça. Je charmais, j’écoutais, je demandais… et je prenais seulement lorsqu’on me donnait. Jamais sans forcer.

— Alors ? Ta première fois, enchérit Max.

Ils me regardaient fixement, un sourire idiot sur le coin de leur lèvre.

La première fois, qu’on m’avait touché… de cette façon… je n’avais pas bien envie d’en parler. Je n’en parlais jamais. Je n’avais pas envie de la pitié des autres.

Mais il y avait eu une autre première fois. Une que je n’avais pas aimée non plus. J’avais seize ans. C’était moi qui avais demandé à Rex qu’on le fasse. Ça faisait un an qu’on sortait ensemble, je voulais savoir ce que ça faisait de le faire si c’était moi qui le décidais. Ce n’était pas moi qui avais décidé, c’était les gens autour de moi, mes copines, les garçons qui me plaisaient beaucoup plus que Rex, mais qui ne voulaient pas de moi, les rumeurs, les commérages. Je voulais montrer que moi aussi je jouai dans la cour des grands. Alors Rex avait dit Ok, et j’avais très vite regretté. Je n’aimais pas Rex. Je ne le désirais absolument pas. Je n’avais pas les basses, lui non plus. Quand il était entré en moi, j’avais eu l’impression d’un couteau s’enfonçant en moi, déchirant tout sur son passage. Je m’étais statufiée avant de crier. Il avait arrêté, avant de reprendre. Je l’avais laissé faire. Ça n’avait pas duré longtemps, heureusement. À la fin, je m’étais senti mal. Plus mal que jamais, parce que j’avais encore laissé faire. J'avais même autorisé.

J’étais resté douze ans avec Rex. Au début, je ne voulais plus qu’il me touche. Mais il insistait. Lui avait aimé. Il ne comprenait pas mes réticences. Il ne comprenait pas que ça me fasse mal. Il me violait à chaque fois qu’on le faisait et je le laissais faire. Je lui donnai la permission de le faire, parce qu’on sortait ensemble, on était un couple, et qu’il avait envie de moi et que si je ne rompais pas, que je restais avec lui, je devais bien me confronter de temps en temps à la chose. C’était trois fois par an, puis cinq fois. Toujours parce qu’il réclamait avec cette tête de chien battu. J’avais pitié de lui. Il ne savait pas les sentiments que je lui portais étaient plus ceux d’une amie, d’une sœur, que d’une amoureuse transite de désir. La vie voulait que je ne puisse pas m’en détacher. Au lycée, j’avais commencé à m’enfermer dans une solitude, qui une fois mon BAC en main n’avait fait qu’augmenter. De mes quinze ans à mes vingt-sept ans, il n’y avait eu que lui comme ami, amant et tout autre chose. Lui, ses amis, sa famille… Lui. Et puis, mon rêve d’écrire, de jouer de la musique, qui ne s’accordait pas avec les lois régies par la société, j’ai dû travailler en tant qu’auxiliaire de vie, puis très vite, je suis devenue la femme à tout faire de tout le monde, ma mère est tombée malade, alors que je commençais à vendre des romans. J’avais vingt-trois ans. Mon père a suivi. Je passais mon temps à courir et Rex devenait jour après jour mon tombeau. Je me faisais une raison. Il était bon, gentil… il ne savait juste pas que je ne l’aimais pas, ne le désirait pas… et que plus tard à mes vingt-six ans, j’avais enfin trouvé la parade à nos ébats, pour qu’ils me soient moins douloureux. J’entrais dans ma tête, cherchant l’être fantasmé qui m’apporterait la jouissance. Il me fallait des ténèbres, garder les yeux fermés, et observer cet autre. Cet autre qui me susurrait qu’un jour il prendrait vie et me volerait à ma misère.

En septembre de mes vingt-six ans, j’ai rompu avec Rex, me suis acheté une guitare et une clarinette. Quelques mois plus tard, j’avais rejoint un groupe de jazziste.

À vingt-sept ans, j’avais rencontré Evack au club.

À vingt-huit ans, j’avais pris rendez-vous chez un chirurgien pour devenir un peu plus « moi ».

À vingt neufs ans, mes parents sont morts, j’avais fait une mammectomie et j'étais devenue propriétaire. Mes romans avaient commencé à se faire connaître. J’avais suffisamment de ressource et une toute nouvelle liberté. J'étais devenu ce que je devais devenir. À vingt neufs ans, j’étais moi. Et j’ai commencé à vivre, à ressentir du plaisir.

Ma vraie première fois, c’était avec Romain. Il avait dix-neuf ans. Il était gay. Un gay curieux. Comme j’étais un hétéro très curieux. Je l’avais toujours été…Curieux.

On s’était fait l’amour ou quelque chose qui y ressemblait en tout cas. C’était bon, réconfortant, doux, parfois violent. Il était venu en moi. Il avait glissé avec une facilité déconcertante. Et j’avais pu le toucher comme mon côté masculin aurait voulu le prendre. Je n’avais pas ce qu’il désirait, mais j’avais su le toucher et le pilonner à ma façon. Parfois, il ne fallait que des gestes placés au bon endroit pour susciter le désir, le faire monter et le laisser nous consumer. J’avais appris, quelques semaines plus tard, avec Judith, que j’étais bisexuelle.

— Alors ? Ely ! s’impatienta Evack.

— J’avais seize. C’était une catastrophe aussi. Ça avait duré moins de deux minutes et ça m’avait clairement coupé l’envie. Voilà.

J’avalais une gorgée et m’étendis sur la natte en détournant le visage des deux cousins.

Déjà, ils parlaient d’autre chose et moi, je m’arrêtais sur l’ombre derrière un olivier au tronc gigantesque. Les cheveux blonds d’un fouineur se détachèrent de l’écorce et un visage doré aux yeux vert profond me fit face. Que voyait-il à travers ma chair, mes os ? Parce qu’un regard comme celui-là, ça voyait au-delà de tout. Je déglutis en redressant mon buste. Mathys coula son regard sur mon torse nu, je n'avais rien pour le lui cacher, et ça me perturba de plus belle. Bien que j’eusse conscience qu’il contemplait mes tatouages. Mes histoires ? Celles dans ma tête et celles de ma vie. Des histoires retranscrites en images sur ma peau.

Il se leva, un livre à la main. J’étais seul à le voir partir, pied nu, un short beaucoup trop bas sur ses hanches.

Je détournais le regard vivement, prêt à me gifler.

Répugnant !

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